Sotchi

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Javi

-Ce gamin ! Tout ça sur un coup de chance !

-Ta gueule Patrick, grognai-je. Ne sois pas mauvais perdant.

-J'aurais dû l'avoir !

-Je ne suis pas d'humeur à te plaindre alors que tu as eu l'argent, et Yuzuru a travaillé dur pour en arriver là, alors arrête.

-Il a juste moins raté que les autres !

-Exact, et il a aussi sorti un record du monde pour le programme court, accessoirement. C'est le jeu, c'est tout. Va te trouver une autre épaule pour pleurer, je n'en peux plus...

-Attends Javi !...

~~~~~

Une règle, une putain de règle.
Est-ce que quelqu'un avait déjà perdu les Jeux Olympiques pour quelque chose d'aussi pathétique ? Probablement pas...
Je pouvais accepter de perdre sur une chute, sur un manque de rotation, un élément raté, un quad transformé en triple, ou n'importe quoi ! Mais une règle !

Comme un idiot j'avais fait deux sauts similaires sans ajouter de combo pour varier, et ça m'avait coûté un point : le podium. J'aurais pu faire ce combo ! J'aurais eu suffisamment de vitesse, je n'y avais simplement pas pensé ! Et quand j'avais vu la déduction supplémentaire au score de fin je n'avais même pas compris... Un stupide point...
Brian s'était excusé un million de fois parce qu'il pensait que c'était sa faute mais ce n'était pas vrai, c'était entièrement la mienne. Jamais je ne m'étais senti aussi découragé et amer après une défaite, défaite tellement ridicule qu'elle pourrait avoir l'air d'une blague... Pourquoi est-ce que je n'avais pas fait ce stupide combo, pourquoi j'avais perdu ce point, pourquoi à cette compétition-là ?!

En plus, comme si ce n'était pas suffisant, le scandale n'arrangeait rien : j'avais envie de pleurer toutes les larmes de mon corps et de ne plus jamais quitter mon lit, encore moins approcher d'une patinoire ou de journalistes. Parfois j'avais l'impression d'être dans un cauchemar dont je me réveillerais pour me rendre compte que tout n'était qu'un mauvais rêve mais évidemment ce n'était pas le cas... Je n'avais rien contre les homosexuels, rien que l'idée était ridicule (presque autant que cette putain de faute) mais on était en Russie : ici les homosexuels étaient encore molestés s'ils se faisaient repérer ! En plus en tant que patineur je savais pertinemment l'impact d'un coming-out dans notre sport : une sous-notation systématique par les juges, sans aucune chance d'y remédier, un suicide de carrière ni plus ni moins. C'était injuste, dégueulasse, tout ce qu'on voulait mais c'était comme ça, et la seule solution était de se cacher, en tout cas si on voulait préserver son futur. Mais apparemment la journaliste ne l'avait pas pris comme ça : "Les gays devraient faire profil bas" était la seule chose qu'elle avait retenue et c'était devenu la une de la plupart des journaux sportifs un tant soit peu tournés vers les sports d'hiver. Bien sûr mon nom y était accolé en majuscules agressives, accompagné de photos qui semblaient crier "Regardez cet hétérosexuel qui prend de haut et insulte les minorités ! Quel odieux personnage !".
Mon coach était gay, mon ami d'enfance était gay, je connaissais pleins de gens dans le milieu qui étaient gays (officiellement ou pas) et est-ce que j'avais un problème avec ça ? Apparemment oui. Le porte drapeau de l'Espagne pour les JO était homophobe et avait perdu pour un article du règlement.

Je savais que si j'y pensais trop ça allait me mettre au fond du trou, alors sur les conseils de Brian et Tracy j'avais essayé de passer du temps avec des amis mais ça ne m'avait pas vraiment remonté le moral... Les messages de ma famille et de mes amis non plus, tous ponctués de "ne va pas sur les réseaux sociaux" ou de "on est fier de toi quand même" qui étaient des témoins de ma défaite et de la vague de haine qui l'accompagnait. Je ne savais pas ce que j'avais fait pour mériter ça... Peut-être que j'avais offensé un dieu dans une vie précédente ? Est-ce que j'aurais dû aller prier avant de partir pour la Russie ? Ou demander à Yuzu de me prêter un de ces bracelets porte-bonheur ?...

Étreinte (V2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant