Javi
Je ne parlais pas japonais, je connaissais juste vaguement les bases du "bonjour", "au revoir", "merci" et c'était déjà pas mal. Yuzu ne parlait certainement pas l'espagnol : "Vamos Jabi" était son maximum... Par conséquent, notre terrain de conversation se cantonnait à de l'anglais approximatif et depuis le temps on avait appris à bien gérer, à mon humble avis. Je comprenais les approximations et les (gros) raccourcis des phrases de Yuzu, lui n'avait plus aucun soucis avec mon accent et moi non plus. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'on avait de longues conversations philosophiques et profondes mais on se débrouillait, et ça fonctionnait.
À part cette zone neutre qu'était l'anglais, on avait également pris des habitudes au fur et à mesure de notre parcours : des moyens de communiquer à notre façon quand la langue nous bloquait, quand on savait que les mots ne serviraient à rien, et on avait appris les moments où on pouvait réconforter et les moments où il fallait simplement laisser de l'air. Les contacts, les gestes, les étreintes, tout était valable : la fin justifiait les moyens. Aussi, parfois, Yuzu passait de l'anglais au japonais sans y faire attention quand il était excité et ça aussi je m'y étais fait : même sans rien comprendre de la langue, ses expressions de visage, ses gestes (il était incroyablement expressif dans sa langue maternelle), ses intonations, je les comprenais comme si son corps parlait espagnol couramment. Au début c'était des accidents dû à la fatigue ou l'inattention, puis ce n'en était plus : je sentais dans ces moments-là qu'il n'avait pas envie d'une conversation mais simplement d'être écouté. Avoir quelqu'un à côté qui pourrait le laisser se lâcher sans forcément commenter ou juger, quelqu'un qui puisse le comprendre. Il ne l'avait jamais dit directement mais ça faisait longtemps qu'on avait dépassé ce stade (on n'y était d'ailleurs jamais réellement passé, à ma connaissance) et je savais qu'au milieu de Toronto et de l'anglais permanent, ça lui faisait du bien de parler en japonais à son aise et parfois de choses que sa mère n'aurait pas pu comprendre parce que trop techniques. L'habitude c'était installée, j'aimais bien l'entendre parler aussi librement, surtout que le japonais était loin d'être une langue désagréable à l'oreille, et un jour je m'étais rendu compte que la journée était passée avec des conversations uniquement en japonais pour Yuzu (évidemment je répondais en anglais si besoin), mais ça m'avait fait un petit choc.
Je n'avais jamais pensé que l'inverse puisse se faire mais Yuzu si, parce qu'un jour sans prévenir il m'avait demandé de parler espagnol. Il n'y avait pas eu de contexte particulier, pas vraiment d'élément déclencheur précis à part peut-être que j'avais eu une mauvaise journée, et il m'avait juste demandé ça au milieu des vestiaires alors qu'on rangeait nos affaires. J'avais été pris de court, je lui avais balancé quelques phrases lambdas sans réfléchir et sans comprendre ce qu'il avait en tête mais il avait insisté, posé des questions, poussé jusqu'à ce que j'accepte de passer complètement dans ma langue maternelle. Ça avait été étrange au début, puis je m'y étais pris, et finalement j'avais fini par parler pendant une heure entière de choses que je n'aurais normalement jamais confié à personne. Je n'avais pas trop compris comment Yuzu avait pu ne pas s'ennuyer en écoutant mon monologue complètement incompréhensible pour lui mais quand je m'étais enfin arrêter de parler à la fin il me regardait avec des yeux limite passionnés. Il n'avait pas commenté, m'avait simplement pressé la main en signe de soutien en disant qu'il aimait ma langue. On n'en avait pas rediscuté, on savait juste qu'on pouvait le faire si on en éprouvait le besoin dans un moment difficile, c'était confortable.
Yuzu parlait beaucoup plus japonais que moi espagnol parce qu'il était celui avec le plus de problèmes en anglais et au bout d'un moment l'entendre s'agiter dans sa langue même sans interlocuteur capable de saisir les mots était devenu complètement normal pour moi.
C'était pour ça qu'après une compétition éprouvante, pendant une conférence de presse où je n'étais pas vraiment en condition pour réfléchir, j'acquiesçai d'un sourire distrait une longue tirade de mon partenaire d'entraînement avant que la traductrice ne rentre en jeu. Il y eut un rire général alors qu'elle me regardait avec de grands yeux surpris et Yuzu me jeta un coup d'œil amusé.
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Étreinte (V2)
RandomCe n'est pas facile de gérer sa vie quand on est athlète de haut niveau. C'est encore moins facile quand il faut s'occuper de sa carrière et d'un autre athlète en même temps, sachant que ce dernier n'y met pas forcément de la bonne volonté. Ou : Jav...