Étreinte (V2)

Point de Rupture

Javi

Les Mondiaux s'approchaient presque aussi rapidement que Yuzuru s'éloignait. J'avais essayé de lui donner de l'espace, du temps, je faisais attention de ne pas lui parler pendant la séance et d'attendre les pauses... mais ça ne lui suffisait apparemment pas. Parfois j'avais même l'impression qu'il préférerait que je ne sois pas là du tout vu la façon dont il m'ignorait durant l'entraînement : quand j'obtenais un bonjour ou un au revoir je pouvais m'estimer heureux...
Je ne pouvais plus continuer comme ça.

Je comprenais son stress, je savais aussi qu'il était blessé, même s'il avait essayé de me le cacher. Je n'avais pas été là quand c'était arrivé mais j'avais vu la compétition en vidéo, j'avais vu qu'après sa chute il s'était contenté de tourner lentement autour de la patinoire en ignorant son run through avec la musique qui continuait à jouer, balançant prudemment son poids d'un pied à l'autre, calculant et mesurant chaque aller/retour qu'il faisait en le comparant avec le programme qu'il était sensé faire dans quelques minutes. J'avais été incapable de deviner la gravité de son état même en connaissant ses petits gestes de mesurage mais je savais pertinemment ce qu'il était en train de faire : un contrôle des dommages. Pourtant il avait quand même terminé la compétition, était revenu comme si de rien n'était, et son entraînement n'avait absolument pas changé. Ça m'inquiétait : ça, et la distance qu'il mettait entre nous. À chaque fois que j'essayais de lui parler il avait un prétexte pour fuir et au bout d'un moment il ne faisait même plus l'effort d'en trouver des convaincants, à croire que ça ne valait pas le coup.

J'avais de la pression aussi, beaucoup, et quand il me sortit une excuse de courses à faire (alors que je savais pertinemment que c'était sa mère qui s'en occupait) pour ne pas avoir à me parler après la séance, c'était la goutte d'eau qui fit déborder le vase : je craquai au milieu du couloir.

-Est-ce que rejeter tout le monde va améliorer la qualité de tes quads ?!, lui criai-je alors qu'il était déjà à quelques mètres de moi. Parce que si c'est le cas, tu t'y prends de la bonne manière !

Il se retourna avec énervement vers moi : on savait tous les deux que ses quads, notamment le Salchow, lui posaient de gros problèmes depuis qu'il s'était blessé.

-Je dois me concentrer, répliqua-t-il sèchement. Et si je dois sacrifier des choses, peu importe : certaines personnes sont prêtes à réellement s'impliquer dans leur quotidien pour atteindre l'or, tu sais ?

Le petit bâtard...

-Non, je n'étais pas au courant : peut-être parce que je ne suis en contact qu'avec un gamin prétentieux qui se croit plus spécial que tout le monde. Tu sais, un jour les gens vont vraiment en avoir marre de te courir après et ils laisseront tomber, et à ce moment-là tu te retrouveras tout seul avec tes chères médailles. Les gens ne seront pas toujours là pour toi quand tu le voudras : ce n'est pas comme ça que ça fonctionne Yuzuru.

-Les gens font ce qu'ils veulent : je ne demande rien à personne. C'est toi qui est tout le temps sur mon dos à vouloir jouer aux amis parfaits.

-C'est vrai, désolé d'avoir mis tant de temps à comprendre que tu ne voulais pas d'amis. Tu ne veux pas faire partie de la vie de quelqu'un de cette façon et tu ne veux même pas que quelqu'un fasse partie de la tienne : tu veux simplement des fans que tu peux ignorer quand bon te semble, qui acquiescent chacun de tes mots et qui trouvent toutes tes décisions plus géniales les unes que les autres, même celles qui sont complètement stupides. Par exemple : patiner alors qu'on est blessé à la cheville gauche.

Je fus très satisfait de le voir se figer sans répartie.

-Comment tu sais ?!, gronda-t-il.

-Malheureusement pour toi, je sais parfaitement comment tu patines quand tu es en bonne santé ou quand tu es blessé. Dès que j'ai vu ta réaction après ta chute, je savais le problème. Pourquoi ? C'était un secret peut-être ?, ricanai-je.