Yuzu
L'attitude des journalistes m'agaçaient de plus en plus depuis quelques temps déjà. Notamment à cause de la façon dont ils s'intéressaient davantage à la vie privée des athlètes qu'au sport, à la recherche du scoop qui pourrait leur faire vendre plus que le voisin, c'était extrêmement fatiguant. Tous n'étaient pas comme ça mais c'était une tendance qui se généralisait beaucoup trop. Je ne comprenais pas comment Javi pouvait supporter ceux qui s'approchaient de lui juste pour poser des questions sur moi : à sa place j'aurais craqué au bout de quelques interviews mais ça faisait plus de quatre ans qu'il répondait agréablement en souriant... Pourtant je savais que ça l'énervait quand même d'être rabaissé aussi irrespectueusement au rang de "partenaire d'entraînement facile d'accès" alors qu'il était un des meilleurs patineurs du milieu et quand je voyais des journalistes venir le cueillir après une victoire aux Euros, où il avait gagné avec un sans-faute et où j'étais évidemment absent, pour lui demander sans introduction ce qu'il pensait de mes nouveaux programmes ; à mon humble avis il y avait des claques qui se perdaient.
De mon côté personne ne m'avait jamais posé la question, ce que je déplorais, surtout que ça m'aurait permis d'expliquer à tout le monde pourquoi en tant que champion je regardais Javi comme s'il avait inventé l'eau tiède. Je savais que beaucoup de gens trouvaient mon admiration injustifiée, Javi en première ligne, et ils souriaient tous avec une indulgence hypocrite en disant que c'était juste de l'aveuglement à cause de l'amitié, voir que je ne pensais pas réellement ce que je disais.
Donc j'étais un prodige du patinage mais j'étais incapable de reconnaître du talent quand j'en voyais sur la glace ? C'était ça leur logique ?! Que j'étais incapable d'évaluer objectivement les capacités d'un adversaire ?
Oui j'appréciais Javi, et si je voulais parler d'amitié, d'émotions et de tout ce qui était incroyable chez lui en dehors du patinage je pourrais sans aucun doute tenir en monologue pendant trois jours d'affilés. En faisant un résumé rapide. Mais ce n'était pas le sujet, quand je parlais patinage je parlais business : il n'y avait pas de place pour la subjectivité, il y avait des faits, des capacités, des résultats, point.Pour commencer j'étais venu au Canada depuis le Japon, à l'autre bout du monde, alors que des clubs bien plus renommés m'auraient accueilli à bras ouverts, justement parce que j'avais entrevu le talent de Javi à travers son quad Sal. Maintenant que les quads pleuvaient de partout les gens avaient tendance à oublier le passé mais à ce moment-là, qui avaient des quads stables en compétition ? Quatre patineurs ? Disons cinq pour ratisser large, et aucun n'avait un quadruple Salchow aussi propre. Si ça ce n'était pas du talent alors je n'étais plus champion olympique.
Est-ce que là aussi j'avais été aveuglé par l'affection irraisonnable qui me poussait apparemment à lancer des fleurs à tout va sur des gens apparemment non méritants ? À ce moment-là on ne s'était encore jamais vu, à part peut-être au détour d'un couloir au milieu d'autres patineurs pendant des compétitions...En réalité je savais pourquoi les gens pensaient que Javi n'était pas si bon que ça. Ils avaient tort, mais je comprenais leur erreur. Je comprenais par contre beaucoup moins bien le fait qu'ils persistent sur leur voie quand un pro leur pointait le malentendu : là ce n'était plus de l'amateurisme ou de l'inattention, c'était de la stupidité... Ou alors ils avaient un ego surdimensionné en pensant tout savoir mais ça ramenait au même...
Le « problème » avec le patinage de Javi était en fait très simple : il n'était pas impressionnant. Quand les gens le voyaient en compétition, ils n'apercevaient qu'un patineur qui jouait sur la glace, souriait, faisait des clins d'oeil au public tout en faisant un programme qui ressemblait plus à une exhibition pour le gala qu'à un programme complexe de compétition. Alors forcément ça leur plaisait, mais ils n'étaient pas impressionnés, trouvaient le programme « sympa, amusant », et c'est tout. Javi donnait toujours cette impression d'être là pour s'amuser et pas pour se battre : quand il avait un mauvais score il haussait les épaules et tapotait l'épaule de Brian en ayant l'air d'être celui qui consolait son coach, quand il avait un bon score il souriait, applaudissait, et le public était content parce qu'après tout « c'était un jeune homme sympathique ». Pas un danger, pas un compétiteur vraiment sérieux, mais il pouvait faire des petits coups d'éclats par-ci par-là quand il avait de la chance et c'était réconfortant à voir...
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Étreinte (V2)
RandomCe n'est pas facile de gérer sa vie quand on est athlète de haut niveau. C'est encore moins facile quand il faut s'occuper de sa carrière et d'un autre athlète en même temps, sachant que ce dernier n'y met pas forcément de la bonne volonté. Ou : Jav...