Solo

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Yuzu

Je le détestais, je ne savais pas ce qui me retenait de le jeter aux loups et de laisser ma fédération porter plainte pour tous les motifs qu'elle voulait. Il avait vendu ma blessure à Brian, Kikuchi san, et maintenant je n'étais pas sûr de pouvoir concourir du tout : c'était exactement pour ce genre de chose que le proximité avec un adversaire était dangereuse. Jamais il n'aurait dû savoir, jamais je n'aurais dû le laisser suffisamment proche pour qu'il puisse s'en apercevoir et l'utiliser contre moi. Repartir au Japon avait été une porte de sortie salvatrice : si je l'avais recroisé dans les couloirs je ne suis pas sûr que j'aurais pu me contrôler.

Une fois chez moi, j'avais enfin pu respirer en sachant que personne ne pourrait me contredire ou deviner quelque chose que je voulais cacher en me jetant un coup d'œil : j'étais en sécurité. J'avais réussi à obtenir l'autorisation de continuer l'entraînement, ignorer les avertissements des médecins, et le programme d'entraînement m'était envoyé chaque semaine par mail. Le staff qui assistait à mes entraînements ne me parlaient pas : je les en avais découragés dès le premier jour, ils étaient juste là si j'avais besoin de quelque chose. Les Mondiaux approchaient trop vite, ma blessure ne guérissait pas suffisamment rapidement, j'avais les nerfs à fleur de peau et j'étais d'une humeur massacrante. Mes quads ne se stabilisaient pas, c'était même le contraire, et je n'avais pas de coach sur le bord de la glace pour me conseiller : tout ça à cause d'un maudit espagnol qui n'était pas fichu de s'occuper de ses affaires. Je le maudissais chaque jour pendant un minimum d'une heure pour me soulager mais ça ne suffisait pas.

Rien n'avançait, j'avais l'impression de régresser, je n'avais plus qu'un mois avant la compétition et je sentais que la dépression me guettait. Les médicaments qu'on me prescrivait n'arrangeaient rien : j'étais allergique à plus de la moitié d'entre eux. Les antibiotiques, l'alcool de la plupart des désinfectants utilisés après les piqures que je devais faire régulièrement à l'hôpital ; ils déclenchaient des effets secondaires qui pompaient totalement mon énergie et je n'en voyais plus le bout. Pour couronner le tout, ma mère était retournée à Sendai pour profiter de ma famille vu que j'étais de nouveau au Japon en terrain connu, et j'étais désespérément seul. Le staff et les médecins ne comptaient absolument pas, je vivais dans une chambre d'hôtel louée par ma fédération et malgré le luxe, elle n'était pas familière et ne m'apportait aucun réconfort. Je voyais chaque jour mes espoirs de victoire s'éloigner et je me raccrochais à ce que je pouvais : la patinage. Le staff n'essayait même plus de me faire sortir de la glace à l'heure prévue et je ne partais que lorsque je commençais à avoir des vertiges. J'avais la patinoire pour moi tout seul de tout façon.

Quand un représentant de ma fédération était venu me voir à la fin d'une séance particulièrement désastreuse et avait sous entendu que la JSF pourrait "m'aider" en me donnant "des petits remontants", ça avait été la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase et j'avais craqué. Je lui avais hurlé dessus, balancé tout ce qui me tombait sous la main pour le chasser et j'avais pleuré toutes les larmes de mon corps quand j'avais été enfin seul dans ma suite. J'étais fichu : à partir du moment où on considérait qu'il me fallait des drogues pour pouvoir gagner, c'était que je ne valais plus rien.

Je n'avais pas été à l'entraînement le lendemain, et personne n'avait insisté après que j'ai renvoyé un manager en lui balançant presque une lampe de bureau dans la figure. J'étais resté au lit toute la journée, je n'avais pas mangé, par contre j'avais bien vomi après avoir pris mon traitement quotidien. Je n'en pouvais plus, je voulais rentrer au Canada et me terrer là-bas jusqu'à ce que le monde entier m'ait oublié...
Quand j'aperçus le porte-clé pendant innocemment à mon sac d'entraînement, je le balançai par la fenêtre ouverte en manquant d'arracher la fermeture éclaire de rage au passage. Il me fallut ensuite moins de trois secondes pour me sentir encore plus misérable et isolé, et dévaler l'escalier de l'hôtel pour chercher pathétiquement le porte-clé dans la rue. Évidemment il était introuvable, parce qu'il avait pu tomber n'importe où : sur la route, dans les égouts, de l'autre côté de la rue... Je cherchai pendant quinze minutes avec désespoir sans lever la tête, avec la ferme intention de continuer jusqu'à l'avoir retrouver même si ça me prenait cinq heures, quand une petite fille s'approcha en me tendant timidement l'ourson que j'avais pensé ne jamais revoir. Je faillis éclater en sanglots au milieu de la rue avant qu'une femme, sûrement la mère de l'enfant, n'arrive vers nous au pas de course.

Étreinte (V2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant