Prudence

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Yuzu

Aller aux toilettes pendant les compétitions était toujours un défi : se dépêtrer du costume, emmener ses patins et sa bouteille partout au milieu de la cohue des coulisses... Ce n'était pas que j'étais incroyablement paranoïaque, mais vu le niveau de compétition personne ne laissait ses patins seuls : trop de risques de se les faire voler ou trafiquer par quelqu'un (staff d'un adversaire ou adversaire lui-même). Pareil pour la bouteille : c'était facile de glisser une drogue dedans, j'avais déjà essuyé ça en junior et je ne voulais plus jamais patiner avec l'impression que j'allais m'écrouler sur la glace.

-Javi ? Tu passes en dernier ?

Il releva la tête vers moi avec surprise mais acquiesça. Ce n'était pas encore le tour de notre groupe et Brian était en train de regarder le passage de Nam pour l'instant.

-Je dois aller... à salle de bains. Est-ce que tu peux regarder patins ? Et bouteille ?

-À la salle de bains ? Tu es tellement snob, rit-il.

-Connais pas « snob ». Tu peux ? Ne casse pas et ne poison pas, le prévins-je sévèrement.

Il fit une tête de conspirateur et regarda de tous les côtés comme s'il préparait un mauvais coup.

-J'ai justement apporté une tronçonneuse dans mon sac : quand tu reviendras il manquera peut-être un ou deux morceaux à tes patins...

-Je gagnerai quand même.

-Évidemment, renifla-t-il en levant les yeux au ciel.

Il rapprocha la bouteille et les patins de ses affaires à ses pieds et me fis un vague signe de la main.

-Vas-y, je surveille. Par contre c'est deux euros la minute donc fais vite...

-Tu as de la chance que je confiance toi, grommelai-je.

-Tu penses simplement que je ne saurais pas manier la tronçonneuse même si je le voulais..., rétorqua-t-il.

-C'est vrai. Et pas doué avec les médicaments non plus : pauvre Javi...

-Ça fait déjà quatre euros. Plus six supplémentaires parce que tu as dit que je n'étais pas doué.

Je lui tirai la langue et filai aux toilettes. Évidemment, je lui faisais vraiment confiance parce que je savais qu'il ne laisserait personne toucher à mes affaires. J'avais de toute façon plus de craintes envers le staff qu'envers les athlètes eux-mêmes qui étaient bien occupés... En fait le vrai problème était que si quelqu'un touchait aux affaires de quelqu'un d'autre, personne ne dirait rien dans l'esprit du « un adversaire en moins et je n'y suis pour rien ». Honnêtement je ferais pareil, sauf si c'était les affaires de Javi parce que quand même... Surtout que lui irait sûrement défendre les affaires de tout le monde sans hésitation.

« Javi est trop gentil pour la compétition », ce n'était pas la première fois que je le pensais. Il était ami avec tout le monde, souriait à tout le monde, le mot rivalité ne faisait même pas parti de son vocabulaire espagnol alors je ne parlais pas de l'anglais... Ça me donnait envie de le protéger d'une certaine façon, d'essayer de conserver cette espèce de naïveté au milieu de la tempête même si c'était en contradiction avec nos statuts d'adversaires. C'était peut-être pour ça que je laissais Javi être aussi proche... Je n'étais pas sûr à cent pour cent... En tout cas il n'y avait pas d'alerte « Attention ! Potentiel dangereux : garder ses distances ! » qui résonnait dans ma tête quand je le voyais, contrairement à mes contacts avec d'autres patineurs (peut-être que l'alarme s'était lassée parce qu'on se voyait trop souvent ?).

-Hanyu-senshu !

Maintenant les représentants de la JSF m'attendait même à côté des toilettes ? Ça promettait...

Étreinte (V2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant