Yuzu
Je n'allais pas mentir : en atterrissant à Boston, tout n'était pas rose.
J'avais parlé trois fois à Javi cette dernière semaine, surtout pour mettre les points sur les i et que notre situation ne gêne aucun de nous deux pour la compétition. On était aux Mondiaux, on était tous les deux pressentis pour avoir l'or et tout n'était pas réglé, loin de là : on ne pouvait pas revenir à la normal d'un claquement de doigts, même si on le voulait. Il faudrait beaucoup de discussions et discuter en étant sous la pression de la plus grosse compétition de l'année aurait été stupide, ce n'était pas la peine d'aggraver la situation à cause de ça : on était tous les deux d'accord là-dessus.
On avait donc décidé d'agir cordialement pour notre temps ici, sans se forcer, et il était prévu qu'on se voit à l'hôtel pour une première reprise de contact. Les sujets à éviter étaient : la compétition, ma blessure, le patinage en général. La conversation allait être restreinte.[Javi]
236, on est au même étage.Javi était arrivé en premier parce que j'étais resté le plus longtemps possible au Japon pour mes traitements : c'était donc moi qui devait le rejoindre dans sa chambre.
Pour essayer de décompresser et aussi parce que j'en avais grandement besoin, je m'installai d'abord dans ma chambre et pris un douche avant d'enfiler des vêtements confortables et aller frapper à sa porte.
Je m'étais préparé psychologiquement, un peu, pas assez à mon avis. Quand il ouvrit j'eus un moment de flottement : ça faisait plus d'un mois qu'on ne s'était pas vu, une éternité.
Un « bonjour » étranglé dut m'échapper pitoyablement à un moment ou un autre et il se poussa pour me laisser entrer.-Tu as eu un bon vol ?
Je me contentai de le regarder fixement. Il voulait vraiment qu'on se lance dans les mondanités ?
-Oui, merci... Umh... Le temps ici est bien ?
Je faisais dans la mesure de mes capacités : ça faisait également un mois que je n'avais plus du tout parlé anglais, je n'étais pas prêt pour ça...
-Je ne pense pas que la météo des États-Unis te passionnent réellement, remarqua-t-il.
-Tu n'as pas trop de jetlag ?, proposai-je avec un haussement d'épaule.
-C'est mieux, admit-il. Il n'y a pas trop de différence d'horaire avec Toronto donc c'est facile de s'adapter.
J'acquiesçai sans savoir comment prolonger la conversation sans tomber sur un des sujets tabous et le silence se prolongea. On était toujours debout, avec une distance inconfortable mais réglementaire de un mètre vingt entre nous, et c'était à la fois très gênant par cet espace et très bizarre par ce silence.
Javi n'était que très rarement calme, pour moi il était synonyme de sons constants : un rire, des blagues, ses petits bruits qui dépeignaient son humeur et ses pensées mieux que n'importe quel discours, ou même les sons physiques, les mouvements, un tapotement agacé ou concentré du doigt, le glissement des patins sur la glace... Un Javi silencieux était un Javi qui n'allait pas bien.-Est-ce que ça va ?, marmonnai-je.
Je ne me sentais pas de parler fort dans le silence ambiant.
-Je ne sais pas : toi, est-ce que ça va ?, répondit-il sur le même ton.
-Pas trop, chuchotai-je en le fixant. Mais je ne pense pas que je suis le seul...
J'étais extrêmement tendu mais je ne m'en rendis compte que lorsque Javi franchit la distance entre nous pour m'enlacer, m'offrant du réconfort comme à chaque fois que j'en avais besoin. Je relâchai mes muscles et soupirai de soulagement, l'enlaçant en retour. J'avais souvent besoin de réconfort, même si je ne m'en rendais pas forcément compte sur le coup et même si je le rejetais. Avoir besoin de réconfort avait toujours été classé comme une faiblesse pour moi : c'était pour ça que je ne pouvais jamais me résoudre à en demander ouvertement. Pourtant même quand je ne demandais rien Javi était là, toujours proche, les bras ouverts, prêt à m'accueillir peu importe la situation, peu importe combien de fois j'avais refusé.
-Merci, murmurai-je en inspirant profondément.
Je le sentis acquiescer muettement contre mon épaule et je le serrai un peu plus. J'avais mis du temps à comprendre que Javi avait aussi besoin de contact physique pour être rassuré, et que c'était pour ça qu'il en distribuait autant : dans l'espoir d'en recevoir en retour. Je n'étais pas sûr que c'était conscient mais je savais qu'une personne qui souriait tout le temps en arrosant les autres d'affection ne pouvait pas survivre sans en recevoir au moins autant. Et je savais qu'il en recevait beaucoup moins que ce qu'il en donnait, pas uniquement à cause de moi.
C'était étrange de penser que j'avais un jour été mal à l'aise à cause de ses contacts : maintenant je ressentais chaque étreinte comme normale, encourageante, sûre... Elle m'aidait à m'ancrer dans le moment présent et à me calmer : comme une bulle d'air pure dans laquelle je pouvais respirer avant de retourner en apnée...
Je m'étais aussi habitué à son parfum, et vu ma sensibilité aux odeurs ça me rassurait toujours qu'il n'en mette pas beaucoup : ça m'évitait d'être écœuré. En plus je ne savais pas comment il faisait mais il semblait toujours être plus chaud que moi, comme un radiateur, même après des heures passées dans le froid d'une patinoire. Il était toujours solide, plus musclé, et quand il m'enlaçait c'était toujours avec soin, comme si j'étais précieux. Parfois je me disais que ça serait plus simple s'il ne me lâchait plus du tout.-Est-ce que tu es encore en colère ?
-Pas vraiment... Juste fatigué je pense... Tu arrives à me fatiguer encore plus que les exercices de Brian : tu as du talent.
Il se recula légèrement et je retins un grognement de protestation. Heureusement, il ne coupa pas tout contact et garda ses mains au niveau de ma taille, ne s'éloignant juste suffisamment pour pouvoir me regarder.
-Comment était le Japon ?
-Pas très bon : pas agréable, avouai-je en baissant la tête.
-Tu es parti parce que ton traitement devait obligatoirement se faire là-bas ou c'était pour m'éviter ?
-Le traitement était plus simple à faire là-bas mais... j'aurais pu m'arranger pour le faire à Toronto...
Il acquiesça et je fus soulagé de voir qu'il n'était pas spécialement en colère ou surpris par ma réponse.
-Les médecins ont dit que c'était mes ligaments. Ce n'est pas bon mais je vais faire de mon mieux.
-J'ai très envie de te dire que tu ne devrais pas mais je vais me retenir, soupira-t-il.
-Merci de ne pas dire «je t'avais prévenu»...
-Je te l'ai déjà dit. À plusieurs reprises, renifla-t-il en levant les yeux au ciel. Maintenant j'ai abandonné : on sait tous les deux que j'ai toujours raison de toute façon...
-Mouis...
-Je suppose que je vais me contenter de te souhaiter bon courage alors ?, conclut-il en me lâchant finalement.
-Merci, bon courage à toi aussi, acquiesçai-je.
Il me raccompagna à la porte et je me dis que ça ne s'était pas si mal passé, finalement.

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Étreinte (V2)
RandomCe n'est pas facile de gérer sa vie quand on est athlète de haut niveau. C'est encore moins facile quand il faut s'occuper de sa carrière et d'un autre athlète en même temps, sachant que ce dernier n'y met pas forcément de la bonne volonté. Ou : Jav...