Javi
J'aurais aimé pouvoir dire sans mentir que j'avais dépassé mon massacre des JO et que j'avançais vers le futur avec détermination : la vérité était un peu moins belle. J'essayais simplement de ne pas trop y penser et de faire comme si de rien n'était en espérant que des résultats prochains puissent me redonner le moral.
En retournant au TCC, je m'étais inquiété de devoir côtoyer Yuzu et sa bonne humeur dûe à sa victoire et ses fortes chances de médailler aux mondiaux mais à ma plus grande surprise je fus le premier sur la glace, et en plus quand il arriva il tirait une tête de zombie. Je ne voyais pas ce qui avait pu l'affecter autant mais je ne l'avais jamais vu comme ça : il n'était pas en forme, ça crevait les yeux, mais il se jetait à fond dans l'entraînement avec un désespoir qui m'inquiéta et qui obligea Brian à intervenir pour qu'il se calme. Ce qui le fit presque pleurer en plein milieu de la patinoire.Je réussis in extremis à le rattraper dans le couloir après la séance parce qu'il ne s'était pas changé ni douché et je fixai les cernes qui étaient bien trop visibles sous ses yeux.
-Tu veux en parler ?
L'habituel "ça va" ne me paraissait pas adapté à la situation.
-Parler de quoi ?, marmonna-t-il avec fatigue.
-De ce qui te met dans cet état.
Son visage se tordit et il détourna le regard.-Vais bien, déjà dit à Brian, esquiva-t-il en secouant la tête.
-Tu as dit que tu allais bien à Brian et il t'a cru ? N'importe quoi. Écoute, je ne t'oblige à rien mais en parler t'aiderait sûrement donc...
-C'est rien, stupide, c'est... Ça va passer...
-Ça passera plus vite si tu le sors de ta tête.
Je le vis jeter un coup d'oeil hésitant vers la sortie et décidai donc de forcer un peu les choses. J'attrapai sa main et l'entrainai jusqu'à la loge, heureusement vide à cette heure-ci. Je l'assis sur une des banquettes et me plaçai en face de lui avec détermination.
-Vas-y, l'encourageai-je.
-Javi, je ne pense pas que ça soit bien de moi de te dire ça...
-Pourquoi ? Si c'est parce que je suis un adversaire je peux aller chercher Brian et le poser en face de toi...
-Non ! Non, pas pour ça... C'est... JO ?...
-Oh ? Tu as eu des problèmes aux JO ?, essayai-je de comprendre. Tu peux en parler, ça ne me dérange pas du tout...
-Problème c'est moi : je n'aurais pas dû gagné l'or, je l'ai volé.
Il baissa brusquement la tête et se leva pour partir mais pas suffisamment vite pour cacher les larmes qui commençaient à couler de ses yeux. Je me mis rapidement sur son chemin et le rassis en me mettant cette fois à côté de lui.
-Yuzu, qu'est-ce que tu veux dire ? Pourquoi tu ne mériterais pas cette médaille ?, demandai-je le plus doucement possible.
Je le voyais se retenir de pleurer en essuyant ses larmes mais ça ne m'inquiétait que plus.
-Raté, raté programme long, juste raté moins et gagné comme ça, pas mérité, juste chance...
-Yuzu ! Non ! Ne redis jamais ça, tu l'as mérité et personne n'a le droit de te dire le contraire !
-Patrick devait l'avoir, tout le monde le dit !
-Yuzu, soupirai-je en attrapant Pooh-san pour avoir un peu d'aide. Patrick est arrivé en grand favori, c'est vrai, mais ça ne voulait rien dire. Tu as eu plus de points, moins de chutes, et un court magnifique : c'est comme ça qu'on gagne, où est le problème ?-Patrick était meilleur, comme National, et ils disent- ils disent qu'imposteur, que chance, et-
-Attends, pause, stop, pourquoi tu parles des Nationales ? Patrick ne peut pas participer à tes Nationales...
-Pa-pas lui, Daisuke senshu, Daisuke était le préféré, il... il....
Il éclata en sanglots alors que j'étais complètement perdu : on parlait des Nationales ou des JO ? Et pourquoi Daisuke arrivait au milieu de tout ça ?
-Ça va aller Yuzu, respire... J'ai compris ce qui n'allait pas aux JO, même si je pense que ceux qui disent que tu ne méritais pas la victoire sont des idiots. Maintenant, qu'est-ce qu'il s'est passé à tes Nationales ? Et c'était quand ?
-Saison dernière, renifla-t-il en prenant un mouchoir d'une main tremblante. Pensais pas gagné parce que Daisuke très fort, champion national avec plus d'expérience, et tout le monde l'aime. Mais quand même patiné au maximum, et gagné SP avec presque dix points, mais deuxième au FS avec cinq points...
-Je ne suis pas fan des maths mais le calcul m'a l'air clair et simple : tu gagnes de cinq points. Comment on peut trouver quelque chose à redire là dessus ?
-Pas important, les gens disent que chance au SP, et que j'aurais dû être argent. Quand Daisuke monté sur podium tout le monde applaudissait, c'était le champion, et quand- quand je suis rentré sur la glace pour salut et podium, ils- ils-
J'essuyai la nouvelle vague de larmes et intégrai que finalement Yuzuru n'était peut-être pas aussi unanimement aimé au Japon. Ça me paraissait inimaginable.
-Ils ne voulaient pas que je gagne Javi, personne ne voulait, tout le stade criait, et Daisuke était à côté de moi, je voulais juste lui rendre médaille et partir loin !
-Ce sont tous des imbéciles Yuzu, je suis content que tu ais gagné, tu le méritais. Un jour les japonais se rendront compte que tu es leur meilleur champion, ne t'en fais pas...
Yuzuru continua de sangloter en s'appuyant contre moi alors que je lui caressais le dos.
Je n'arrivais pas à imaginer ce qu'il avait vécu. Je connaissais la sensation d'être ignoré mais détesté ? Au point que le stade hue au moment de remettre les médailles ? Je ne savais pas comment on pouvait faire ce genre de chose et je comprenais mieux le fait que Sotchi lui fasse l'effet d'un remake de cet épisode.-Tu sais Yuzu, je ne connais pas vraiment Daisuke mais Patrick est mon ami. Je pense quand même que tu as gagné de façon juste : certes, tout le monde s'est raté sur le FS mais si du coup on prend juste le SP en compte... Il n'y a rien à dire. Et pour tes nationales, je vais te dire un secret : tu es mon japonais préféré, personne d'autre n'a le droit de gagner au Japon, c'est moi qui l'ai décidé.
Je regardai avec satisfaction Yuzu lâcher un rire un peu tremblant et l'enlaçait.
-La prochaine fois que tu iras à tes Nationales je t'applaudirai tellement fort devant mon ordinateur que les spectateurs n'auront aucune importance, ok ?
-Javi, quand j'aurai mes Nationales il sera minuit ici, sourit-il.
-Eh bien... J'applaudirai avant d'aller me coucher et en me réveillant. Qu'est-ce que tu en dis ?
-Merci Javi, j'applaudirai pour tes Nationales aussi... Les espagnols sont toujours bruyants sauf quand vraiment besoin : exceptionnellement je ferai du bruit.
-Merci Yuzu, ris-je en lui passant une main dans les cheveux. Je penserai à toi.

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Étreinte (V2)
RandomCe n'est pas facile de gérer sa vie quand on est athlète de haut niveau. C'est encore moins facile quand il faut s'occuper de sa carrière et d'un autre athlète en même temps, sachant que ce dernier n'y met pas forcément de la bonne volonté. Ou : Jav...