Prologue: La reine et l'orpheline

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Grèce, 1992

Depuis toujours, les hommes ont tenté d'imiter les dieux, en vain. Ce désir arrogant de toute puissance n'épargnait pas le peuple d'Agartha. Mais, pour y parvenir, les descendants de ceux-ci possédaient deux visions du monde radicalement opposées. D'un côté, la modification de la Terre par l'agriculture, l'élevage du bétail, le développement de nouvelles technologies et la création d'êtres vivants artificiels appelés « Familiers ». De l'autre, l'adaptation de l'être humain à son environnement par l'augmentation de ses propres capacités jusqu'à atteindre le statut de surhomme.

Deux visions antinomiques, toutes deux dénuées de sens. Telle était la pensée de la dernière représentante du continent englouti alors qu'elle s'avançait au milieu d'une cité dévastée par des décennies de conflit. Il n'y avait pas un bruit. Les ruines silencieuses observaient avec intérêt le seul humain qu'elles avaient pu apercevoir depuis bien longtemps, tandis que le vent lui hurlait de fuir cet endroit teinté du sang de ses enfants.

La femme aux cheveux d'argent ignorait pourtant ces avertissements et progressait lentement entre les débris qui jonchaient le sol poussiéreux, la tête basse. Combien d'années s'était-elle absentée pour retrouver un monde dans cet état ? Comment l'humanité avait-elle pu en arriver là pour de simples divergences de point de vue ? Aurait-elle dû intervenir plus tôt ? Était-ce de sa faute ? Aurait-elle dû continuer à veiller sur la Terre au lieu d'écouter Ses paroles ? Elle savait qu'elle ne trouverait aucune réponse ici. Elle était simplement venue pour constater l'ampleur de la tragédie, comme pour se repentir d'avoir abandonné sa descendance.

L'Agarthe tentait d'imaginer à quoi avait pu ressembler la ville auparavant, en vain. Il n'en restait plus qu'un amas informe, lentement dévoré par les âpres du temps. La nature avait déjà commencé à reprendre ses droits. De mauvaises herbes se frayaient un chemin à travers les fissures du bitume tandis que de petits arbustes s'élevaient au-dessus des décombres, comme les véritables vainqueurs d'une guerre vaine.

Finalement, n'était-ce pas là l'ordre des choses ? À force de vouloir s'approcher des dieux, ces derniers avaient rappelé aux hommes qu'ils n'étaient que des créatures mortelles, fragiles et faibles.

La femme poursuivit sa route en gravissant une colline qui l'amena devant les ruines du Parthénon. Ironiquement, ce bâtiment vieux de plusieurs millénaires était le seul à avoir résisté. Peut-être parce qu'il était le dernier lieu de culte ayant reçu la bénédiction de divinités illusoires ? Ou bien n'était-ce qu'une pure coïncidence superstitieuse ? Qu'importe. L'étrangère pénétra à l'intérieur et contempla les hautes colonnes de marbre qui s'élevaient vers le ciel tel des lances plantées dans la Terre.

Soudain, un mouvement attira son attention. Surprise, la femme reporta son regard vers le fond du temple et plissa les yeux pour tenter d'en discerner l'origine. Son cœur rata un battement. Là, au pied d'une imposante représentation de la déesse Athéna dont la tête jonchait le sol, jouaient deux enfants. En attendant l'Agarthe approcher, l'un d'eux s'arrêta et lui lança un large sourire. Il s'agissait d'une fillette aux magnifiques iris de saphir dans lesquels pétillaient la malice et la curiosité. Ses longs cheveux d'encre, retenus par une simple barrette en forme de demi-lune, cachaient la partie gauche de son visage angélique, encore assez rond. Elle ne devait pas avoir plus de six ou sept ans. Son nez était taillé comme celui des statues grecques. Son teint d'un blanc presque blafard reflétait parfaitement ses origines. Il s'accordait avec ses joues rosées et sans défauts dans une parfaite harmonie.

Sur sa robe, noir charbon, brillait un insigne singulier : deux croissants lunaires autour d'un cercle doré, preuve de son appartenance à l'organisation la plus puissante sur Terre. C'est là que la femme comprit et son cœur se serra.

— Bonjour, madame ! lança innocemment la fillette. Vous êtes qui ? Et qu'est-ce que vous venez faire ici ? Vous voulez jouer avec nous ? On s'ennuie !

Un sourire triste fendit les lèvres de l'Agarthe qui posa un genou à terre pour se mettre à la hauteur de son interlocutrice.

— Tu dois être Lusina Heredis, je présume ? Je suis heureuse de pouvoir enfin te rencontrer. Tes parents sont-ils là ?

— Non, ils sont morts. Il n'y a que mon frère Ilios et moi !

Le détachement avec lequel Lusina avait prononcé ces mots fit frissonner l'Agarthe. Alors, c'était à ça que ressemblait un humain dénué de compassion ? Néanmoins, elle ne se laissa pas déstabiliser et reprit la parole.

— Je vois. Vous devez vous sentir bien seuls, mes pauvres enfants. La guerre entre Savior et la fondation ESP n'a pas épargné vos familles. Vous devez sûrement en vouloir à la Terre entière, maintenant, et je le comprendrai. Mais vous ne devez pas...

La fillette pencha la tête sur le côté.

— De quoi vous parlez, madame ? Il n'y a pas eu de guerre, ici.

— Co... Comment ?

— C'est mon ami, le Dragon de l'apocalypse qui a fait ça ! Les gens étaient méchants avec nous parce que papa était invocateur et maman une Esper. Alors, j'ai demandé à ce qu'ils disparaissent tous, et, pouf, un Dragon géant est apparu et a tout détruit !

Le visage de la femme aux cheveux d'argent blêmit et sa respiration s'accéléra. Une vision d'horreur lui traversa l'esprit. Elle se revit, plusieurs millénaires auparavant, assistant à la destruction d'Agartha par un monstre qu'elle avait elle-même engendré, impuissante à l'arrêter. Et elle avait conscience que la fillette qui se trouvait face à elle à ce moment-là possédait les pouvoirs de répéter cette tragédie et mettre un terme à l'ère des hommes. C'est pourquoi elle se devait d'agir avant qu'il ne soit trop tard.

— Dis-moi, Lusina, qu'est-ce que tu comptes faire, maintenant ? Tu ne vas quand même pas rester ici toute ta vie, non ?

— Euh... Papa et Maman m'ont demandé si je pouvais tuer le dirigeant de Savior, mais je sais pas qui c'est, ce type...

— Dans ce cas, est-ce que tu voudrais m'accompagner ? Je n'ai pas grand-chose à vous offrir pour l'instant, mais je peux te permettre de réaliser la dernière volonté de tes parents. Mieux, tu pourras prendre sa place quand tu seras plus grande et changer le monde.

— On m'a dit de ne pas suivre les inconnus dans la rue !

— Mais je ne suis pas une inconnue. Je suis en quelque sorte ton ancêtre. Mon nom est Tiamat, reine du continent disparu d'Agartha.

— Tiamat ? Je crois que Papa m'en avait déjà parlé... Okay, on va dire, je vous fais confiance, madame ! Montrez-moi comment tuer ce chef de Savior et puis je ferai du monde un endroit où on pourra jouer tous ensemble, sans les méchants qui nous critiquent !

Lusina appela son frère et les deux enfants quittèrent le Parthénon aux côtés de la souveraine déchue. Nul ne se doutait que, ce jour-là avait germé dans l'esprit de la fillette l'ambition la plus folle et la plus démesurée de l'histoire de l'humanité. Une ambition capable aussi bien de sauver le monde, que de l'anéantir. 

Arthus Leclipse: Le mystère du familier libre [En réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant