Chapitre 3: La chasseuse

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 Dans ce monde, il existe des bêtes assoiffées de sang. Les récits mythologiques ne sont pas que de pures inventions. L'hydre de Lerne, le cerbère ou encore le Minotaure. Toutes ces créatures ont jadis foulé de leurs infâmes pattes le sol de notre planète. Si, autrefois, nous les appelions simplement « monstre », aujourd'hui, elles portent le nom de « Familiers ». C'est à nous, Esper, de préserver la paix sur Terre en éliminant ces abominations jusqu'à la dernière.

**

Yuki savourait un délicieux pana cotta sur la terrasse du café d'Honchin. Même si ce n'était pas la saison, elle appréciait toujours autant ce dessert typiquement européen qu'elle aurait pu manger même en pleine tempête de neige. Cela lui rappelait son enfance, lorsqu'elle venait passer des vacances dans cette ville avec ses parents. Eux aussi étaient de grands amateurs de toute la gastronomie méditerranéenne. Dans le ciel, le Soleil d'octobre réchauffait légèrement la peau de la Japonaise, qui profitait des derniers rayons du jour.

Tout en se régalant, Yuki relisait le rapport de la fondation ESP qui l'avait conduite si loin de Tokyo. Apparemment, les habitants de cette petite bourgade côtière avaient aperçu dans les environs une sorte de créature écailleuse géante, semblable à un dragon : un Lindorm. Dans la base de données, il s'agissait là d'un Familier de rang B sur l'échelle des Familiers s'étendant de D à S. Dans la moyenne haute de ce qui se faisait chez Savior, donc. Pas une divinité telle que le Léviathan, mais pas non plus une blague comme le Dahu de rang D-.

Dans les faits, ça restait une grosse bestiole sur laquelle aucun Synith n'aurait aimé tomber. Mieux valait s'en débarrasser au plus vite avant que les cryptozoologues du monde entier ne s'intéressent d'un peu trop près à cette histoire.

Alors que la rouquine s'apprêtait à reprendre sa dégustation, une désagréable odeur vint lui chatouiller les narines. Aux aguets, elle releva précipitamment la tête pour en chercher la source. À part elle et le serveur du café, la rue était déserte. Ou presque. À une dizaine de mètres, elle repéra un blondinet aux airs stupides. Celui-ci sortait d'une boulangerie, les bras chargés de chouquettes. Et le parfum des délicieuses pâtisseries ne parvenait pas à masquer la puanteur qui émanait de lui : celle d'un Familier.

Était-ce lui, l'invocateur du Lindorm après lequel Yuki courait depuis plus d'une semaine ? Non. Impossible. Il avait l'air bien trop idiot et insouciant pour faire partie des rangs d'une organisation quasi terroriste comme Savior. Néanmoins, la jeune fille avait besoin d'en avoir le cœur net. Ainsi, elle paya rapidement l'addition et alla à la rencontre de l'adolescent.

Lorsqu'elle se planta devant lui, le pauvre garçon sursauta et manqua de faire tomber tous ses achats. Mais, fausse alerte. Ce n'était qu'un vulgaire humain sans intérêt.

— B... Bonjour, mademoiselle, il y a un problème ? bredouilla le blond, rouge comme une pivoine.

— Non. J'ai cru que tu sentais le Familier, mais j'ai dû faire erreur.

— Je sens quoi ? Attends, tu n'es pas d'ici, je me trompe ? Tu veux dire que cette odeur t'est familière, c'est ça ? C'est une chouquette, spécialité française ! Tiens, si tu as faim, je peux partager. J'en ai acheté beaucoup trop, de toute façon !

Yuki marqua un moment d'arrêt. Ce type était stupide, ou quoi ? Bah ! Une chouquette gratuite, ça ne se refuse pas, après tout ! pensa-t-elle en acceptant. Ce geste arracha un sourire niais à l'adolescent. C'est alors que la rouquine eut une idée. La fragrance qui entourait son interlocuteur ne pouvait pas sortir de nulle part. Cela signifiait qu'en suivant cet abruti, elle avait de grandes chances de remonter au fameux invocateur du Lindorm.

Un rictus fendit ses lèvres. Peut-être allait-elle pouvoir profiter de ses vacances plus vite que prévu !

Jouant sur le côté « étrangère perdue », Yuki reprit la parole, en simulant un accent japonais de mauvais film de ninja.

— C'est Oishii ! s'exclama-t-elle. Oh, mais j'ai oublié de me présenter. Gomen. Je m'appelle Yuki Fuyuku. Je suis une... une étudiante étrangère en échange culturel et je viens d'arriver en ville.

— En... Enchanté ! Moi, c'est David Himmel. Si tu as besoin d'un guide, je peux t'aider, je ne refuse jamais rien à une jolie fille en détresse !

Yuki se retint de coller son poing dans la figure de cet idiot. Elle ne le supportait déjà plus. Mais, elle prit sur elle. Elle pouvait bien se le coltiner quelques heures, voire jours, tout au plus, le temps de récolter des informations, avant de disparaître sans laisser de trace. Après tout, ce n'était pas la première fois que la jeune fille devait se fondre dans la masse pour mener à bien l'une de ses missions.

Ainsi, elle passa l'après-midi à discuter de banalités avec le garçon dont elle avait oublié le nom. Celui-ci lui expliquait de nombreuses choses qu'elle connaissait déjà, et elle n'écoutait donc que d'une oreille. De toute façon, elle voulait simplement rencontrer les connaissances du blondinet. Tout le reste ne l'intéressait pas.

Alors qu'ils s'approchaient du lycée de la ville, David lui demanda de l'attendre quelques minutes.

En voilà des manières. Lui qui se prétendait gentleman l'abandonnait, maintenant. Enfin, ce n'était pas comme si Yuki avait besoin de sa compagnie. Sa tête commençait sérieusement à lui faire mal à force d'entendre le flot incessant de paroles creuses du lycéen.

Tout en contemplant l'imposant bâtiment scolaire, la rouquine ressentit une nostalgie dans son cœur. À quand remontait la dernière fois qu'elle avait posé le pied dans une salle de classe ? Même si elle ne regrettait pas les choix qui l'avaient conduite jusqu'ici, parfois, elle se disait qu'elle aussi aurait aimé vivre tranquillement, loin des combats et des complots, comme une simple adolescente de son âge. Mais, c'était impossible, et elle le savait très bien. Son destin était d'éliminer les Familiers jusqu'au dernier, sans exception. Seulement ainsi, ses parents pourraient reposer en paix.

Un bruit de pas tira la jeune fille de ses pensées, qui dut se retenir de lâcher un soupir d'exaspération lorsqu'elle vit l'idiot revenir avec l'un de ses amis. Deux pour le prix d'un, il ne manquait plus que ça.

Alors que Yuki se présentait machinalement, elle s'arrêta net lorsqu'elle croisa le regard du nouveau venu. Ses poils se hérissèrent sur ses bras, et ses pouvoirs s'activèrent involontairement. Elle dut faire tout son possible pour ne pas sauter à la gorge du garçon aux yeux écarlates qui lui faisait face. Aucun doute, c'était lui qu'elle cherchait. Toutefois, elle était troublée. On lui avait signalé la présence d'un Lindorm. Pourtant, le dénommé Arthus n'avait rien d'un invocateur ni d'un Familier. Il avait la stature d'un humain totalement ordinaire, et ne dégageait aucune aura particulière. La Japonaise était obligée de mobiliser tous ses sens pour percevoir sa vraie nature sous son apparence d'adolescent banal et discerner son odeur de celle de son camarade.

Était-ce seulement possible ? Aucune base de données ne mentionnait de Familier humain encore en vie. Le dernier avait été tué durant la grande guerre, six ans plus tôt. Aurait-il survécu, finalement ? Yuki allait devoir se montrer très prudente. Les créatures de son espèce étaient considérées comme les plus puissantes, bien plus que les dragons de légendes ou les prétendus démons des folklores divers.

Cependant, quelque chose clochait dans cette histoire. Si cette personne était réellement un monstre, où était son invocateur ? Et pourquoi essayait-il de se dissimuler parmi les Syniths ? Vraiment, cette affaire sentait le traquenard à plein nez. L'Esper devait absolument en finir au plus vite, et écrire un rapport au président Erbe pour le prévenir.

Ainsi, la jeune fille amena les deux garçons près du café où elle avait repéré une ruelle discrète, puis simula d'avoir perdu son portefeuille, afin de se débarrasser du boulet blond et se retrouver seule avec le Familier.

À peine David fût-il parti que, sans autre sommation, et espérant prendre Arthus de court, Yuki activa ses pouvoirs.

— Je ne sais pas qui tu es ni qui est ton maître, mais je m'en fiche. Ton existence prend fin ici, monstre. 

Arthus Leclipse: Le mystère du familier libre [En réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant