Course

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Bord de mer implanté dans un musée, les tableaux voguent sur des murs blêmes et éventrés. Pas de clim j'ai apporté mon éventail et je me couds du vent sur le visage. Le vigile m'observe à la dérobée puisque ma robe crade est suspecte, mais je n'aime plus les douches décisionnaires, je préfère abandonner toute réflexion et joindre mes mains dans un geste de prière pour paraître fervente ou idole. 

Bernard est passé hier, il sentait la rue pendant l'été, avec son haleine polluée et vrillante qui lèche les boulevards surpeuplés. En août la ville se barricade et la chaleur se propage, il était passé à la supérette pour acheter des tomates et deux yaourts. J'ai dit merci pour les yaourts et je n'ai pas pris les tomates. Bernard, des planètes écarlates entre les mains, m'a suivie hors de la cuisine en parlant de ses légumes. Je les dédaigne et en faisant cela c'est lui que je refuse, paraît-il, parlait-il. Il était dix heures du matin, je n'avais pas faim, j'ai arrêté de lui répondre. 

Nous nous sommes assis dans le canapé et je n'ai plus pensé à autre chose qu'à la nuit que nous avions passé ensemble, les caresses débordées de pénombre et ce goût de l'autre, du monde retrouvé. Je ne savais pas s'il fallait que l'on transforme nos souvenirs en mutisme, mais il m'a avoué être venu pour "parler de l'autre soir". Je lui ai demandé de répéter par réflexe puis je l'ai interrompu au milieu de sa phrase, ce qui l'a troublé et nous a plongés dans un moment de flottement, où j'exécutais son regard, et lui s'excusait par avance. Il a cherché ma main et j'ai eu un geste de recul, qu'il a jugé, moi non, ce n'était qu'un geste, nos mains sont retombées mollement sur nos cuisses de façon similaire à une fraction de seconde de distance. Bernard n'a plus bougé et j'ai lu à travers son silence fracturé, un évident reproche. 

Le voilier boit l'eau du tableau, les photographes débordent des banquettes et s'ensauvagent, je remue la peinture d'un coup d'œil trop appuyé. Dates de naissances, dates de mort, j'imprime les chiffres, je me saoule de bleu, de l'italique des nombres annonciateurs. La lumière décline, l'éclairage hostile m'éblouit, je m'évide la pupille à le contempler. Néons laiteux à la face sylvestre, immanquables, je les maîtrise, je luis aussi en les saluant, puis je mets mes gants et je vais valser avec trente-neuf degrés.  

Jeudi jeûné au centre Pompidou, les passants m'ont reconnue et coursée. J'ai fui par le sol, fui en m'offrant aux virages, en épiant les feux et percutant les immenses allées poudrées de jaune. J'ai fui jusqu'à ce que mes pieds ne puissent plus paraître, que les horaires tanguent et que les conducteurs jaloux me débarrassent de la route pour y pavaner. Une serveuse embêtée m'a servie une grenadine puis ses yeux menthe m'ont clamé quatre euros cinquante, elle avait pourtant le regard gratuit. J'ai payé sans rien dire, je me suis levée et j'ai continué de fuir. 

Apocalyptic LouOù les histoires vivent. Découvrez maintenant