Bouche de nuisibles : les fées font la conversation dans l'arrière-salle et leurs bijoux cabossés s'entrechoquent. Des paroles de verre jaillissent comme des murmures ; la transparence de leurs sourires m'effraie.
Il fait froid sans interruption depuis neuf jours, cette décision est synonyme d'alcoolémie profonde.
Le matin en sortant je couvre mes oreilles d'un bonnet de laine bleu, un peu rêche et trop foncé, la marine de son teint donne le tournis, ou plutôt précipite en profondeur. C'est un bonnet de blues trans-urbain, il s'expose sombrement et vous reste dans l'estomac pendant longtemps. Mon père le portait. Mon père a déménagé et ne le porte plus, je le soulève lentement, son poids me fait peut-être peur mais il n'y a pas d'arrogance entre nous.
Ce bonnet me dessine le visage et décime ceux des autres. Il convoque une cécité inhabituelle, nous faisant fuir son image tout en nous laissant déraper. Il est l'élément du paysage qui s'est soudain mis à bouger, dans le fond, sans que vous y fassiez réellement attention, mais avec lui les autres meubles commencent leur déplacement, et bientôt même les restes se trouvent amovibles.
Ce remue-ménage vous engloutit en une heure, le brouhaha vous broie, vous faites la brasse, vous vous noyez dans l'air marin du bonnet avec une lueur de surprise figée au fond des yeux.
Qu'est-ce que j'ai vu l'espace d'un instant sans le regarder vraiment, et qui maintenant hante chaque paroi de ma vie, et l'abolit ?
Une présence aiguë me perce les tympans, un bonnet sur mes oreilles comme une cage entourant mon crâne, les choses que je sais pouvoir dire semblent toutes dépassées. Il n'y a que l'univers modifié, les amalgames de la substance et ce bleu si bleu qu'on ne peut le confondre ni le croire vraiment.
C'est la fable des abeilles : le bourdonnement croissant des ruches en plein hiver, les battements des cœurs qui ralentissent et le sommeil dangereusement surplombant de la neige, celle-là venue tuer sans prévenir.
Un matin le blanc s'étend et étouffe les plantes, la végétation meurt sous cette épaisseur claire et aveuglante.
Des brindilles s'essuient les yeux devant le terrible spectacle, j'ai égaré mon bleu dans le blanc, j'ai arrêté de pleurer et j'ai sorti mon masque de glace.