Réminiscence seconde

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Ce en quoi je m'identifie : toute illusion complice. Ce qui est adoré l'est peut-être secrètement, mais d'une force fidèle qui ne s'écarte ni ne se rompt.

La fraîcheur électrique de la nuit m'éblouit. Je sors de la librairie et l'empire de son parfum nous quitte.

Chair mouillée et à défaire : je jaillis encore hors de ma baignoire comme un nénuphar asiatique, un nuage de lait dans un thé anglais.

Cette parole puisée ne peut se comparer au silence.

Une main une seule pour chasser tout cela, un héros qu'on ne pressurise pas et ses manières mnémoniques,

Des yeux s'assimilent.

- Bonjour.

Il passait par là et s'est arrêté. Ses vêtements remuent doucement mais son regard me fixe, immobile, me fige et m'oblige. Il attend visiblement une réponse -que je serais tentée de lui refuser- mais nos alliances coulent comme charmées.

La discussion est un enchantement ; il parle sans sembler se soucier et ses gestes trahissent cette négligence. Au détour du boulevard j'apprends qu'il est en visite dans le quartier pour une affaire de soulier perdu, de livre vendu, d'un exemplaire malentendu, long et suspicieux, sur lesquels nos pas glissent et salissent le trottoir. Un léger dépôt de boue est venu assombrir l'ourlet de son pantalon, qu'il ne semble pas remarquer ; et quand bien même il l'aurait perçu ses traits ne se troublent pas, au contraire, son visage se détend avec élégance et je peux remarquer, lorsque nous nous dirigeons vers une allée ensoleillée, combien l'air qu'il aborde parait refléter une sérénité sincère. C'est inattendu quand on sait tous les bruits racoleurs des dimanches urbains, insoupçonné si l'on se fie à son front haut et fier, à cette bouche nouée, et pourtant si je me penche...

Un visage dévasté par la douceur, une quiétude que rien ne dissimule. Je reconnais son nom et sa couleur. Bernard vert émeraude, je réponds à son salut et l'enjambe, nous marchons dans Paris jusqu'à ce que nos semelles rêches suscitent des ampoules, que les alarmes de nos yeux s'éteignent et que la pollution ranime nos poumons par étouffement.

Apocalyptic LouOù les histoires vivent. Découvrez maintenant