A comme Barbelés à Papa

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Alice.

Ta voix résonna dans le combiné un soir que j'étais tranquillement assise devant ma fenêtre à regarder les trains.

Tu trépignais d'excitation à l'idée de m'annoncer ce que tu pensais être la nouvelle du siècle. Je savais déjà ce qu'avait fomenté ta petite caboche mais je me tus pour ne pas spolier ton plaisir. Je m'en serais pourtant fait une joie, et pour une fois, j'espérai avoir faux sur toute la ligne.

J'en devins presque croyante.

Malheureusement, j'avais vu juste. Encore une fois.

Tu pris une grande inspiration, et déversas sans retenue ton bonheur dans mes pauvres oreilles.
Je t'écoutais aligner les mots les uns à la suite des autres, mais ils ne prenaient pas sens pour autant. Tes mots me parvinrent emmêlés, embrouillés. Ils s'étiraient jusqu'à s'effilocher pour parcourir les quelques mètres qui nous distançaient l'une de l'autre. Puis ils se condensèrent jusqu'à former une énorme pelote qui m'obstrua la gorge. Je déglutis vivement pour tenter de l'avaler et manquai de m'étouffer. Des larmes cascadèrent le long de mes joues, laissant dans leur sillage des coulées brûlantes qui les ravinèrent.

A force de tentatives, je finis par avaler tout rond la pelote, qui s'avéra filée de barbelés. J'eus l'impression de gober des tessons de verre pilé. La pelote me pesait à présent sur l'estomac, et je sentis mes tripes se nouer à l'idée de devoir digérer cela. Les fils de fer barbelés m'avaient écorchée vive. Mon corps pulsait d'une douleur sourde, de celles qui couvent pour mieux détruire. 

Mon silence ponctué de gémissements irréguliers t'inquiéta. Tu me demandas si tout allait bien; et je te répondis d'une voix mesurée, égale. Je me sentais diplomate. Il fallait jouer serré pour ne pas perdre Alice et passer entre les gouttes de salive.

Car, ne t'en déplaise, Alice, tu bavais en évoquant son prénom et je m'interrogeai sur ta capacité à redevenir cet animal un peu farouche que tu étais avant notre rencontre.

En bonne amie, je me suis moquée légèrement de toi, prétendant que ton cerveau deviendrait du chewing-gum fondu avant la fin du mois. Je t'ai rassurée, confortée dans ton opinion que c'était le bon, d'une voix enjouée mais mécanique. 

J'ai raccroché au bout d'une heure de conversation infertile qui m'avait cependant appris une chose : 

Ce qui était pour moi une pelote de fil de fer barbelés était pour toi une aubaine en barbe à papa.

A Comme AliceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant