Alice.
J'ai troqué mon silence contre des demi-mots.
Et c'est en balbutiant que je t'annonçai mon amour pour Lony.
Tu bondis de joie et joignis tes mains aux miennes.
Lony et Valentin étaient meilleurs amis, tout comme nous.
Nous allions pouvoir passer tout notre temps ensemble.
Cette idée me fit grincer des dents.Alice mettrait à coup sûr Izel dans la confidence. Elles tenteraient le diable pour me rapprocher de Lony, qui m'intimidait beaucoup depuis que mes nuits voyaient son visage défiler dans mes rêves.
Je détournai la tête pour échapper au regard inquisiteur d'Alice qui depuis ce matin traquait mes pensées dites "lonycencieuses" comme un chasseur piste une biche.Nous nous jetâmes la tête la première sur le trottoir dès que la cloche eut sonné. Les rues se vidaient, les travailleurs sur le chantier d'à côté beuglaient, les restaurants fermaient leurs volets et les oiseaux migraient vers d'autres horizons bétonnés.
Nous rîmes, inconscients béats face à la misère du monde, tout heureux de voir les vacances se profiler au loin.Pour fêter la fin de l'année, Alice nous avait invités chez elle.
Je piaffais d'impatience à l'idée de grappiller quelques heures de plus chez Alice, toujours non consenties par mes parents. Alice, quant à elle, se pourléchait par avance les babines : elle avait résolu de me faire goûter son mets favori, le kebab.Izel avait en elle une tigresse qui s'agitait et labourait de ses griffes et de ses crocs sa cage thoracique.
Pour la nourrir, elle dévorait le contenu débordant de plusieurs assiettes à la cantine, usant tantôt de ses charmes de jeune femme, tantôt d'une roublardise consommée, doublée de chantages affectifs des plus redoutables. Cette bonne situation nutritive contribuait à ses rondeurs flatteuses qu'elle chérissait à coups de «Touche pas à mon gras».J'avais hâte de goûter ce qui leur paraissait un équivalent du caviar.
Izel m'expliquait qu'il valait mieux des zéro addictifs et conservateurs mensongers dans le ventre plutôt que des zéros à la file sur l'addition.De l'autre oreille, j'écoutais Alice me conseiller sur les sauces qui dégoulinent et les boissons qui piquent du ton docte de la vétérane.
Elle qui n'était pas friande de mots me décrivait les doux reflets de la lumière sur la viande savoureuse et croquante à la façon de Zola, ce qui n'était pas pour me déplaire.Mon attention dériva sur les lèvres d'Alice, qui bougeaient sans produire aucun son.
J'aurais bien aimer les goûter.
Juste une bouchée, juste une lampée.Pour ne pas oublier qu'Alice est le fruit de la tentation.
Et pour ne pas oublier j'ai failli les savourer.
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A Comme Alice
Non-FictionAlice. J'ai toujours aimé ton nom. A comme un commencement. Le début d'un prénom, d'une histoire. La nôtre. NDA : Cette histoire est véridique, à quelques détails près. Les prénoms n'ont pas été modifiés.