A comme Bave Alambiquée

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Sitôt arrivés chez Alice, nous nous affalâmes sur son canapé à la manière lourde des adolescents qui à douze ans pensent avoir vécu une bonne moitié de siècle.
Nous tenions entre nos bras le trésor dont rêvait notre ventre gargouillant, contenu dans un paquet brun qui laissait passer les plus alléchantes odeurs.
Nous trinquâmes alors, à la fin d'une année, au début d'une nouvelle ère, et à l'accomplissement de nos objectifs personnels.
La préoccupation principale d'Alice était de finir ses missions de jeux vidéos, et quant à moi, je n'en savais trop rien.
Nous dégustâmes ensuite-en parfaits gloutons-notre kebab qui reste, je dois l'admettre, un des mets les plus raffinés que j'eus mangé en ce temps-là.

Pour le reste, je ne crois pas nécessaire de le relater, car nous n'avons pas fait grand-chose d'autre que rire en nous tenant le ventre parce que nous avions trop mangé.

Je suis rentrée chez moi aux environs de six heures du soir, emplie d'une joie sans pareille à la pensée que j'avais passé l'après-midi avec Alice.
Des frissons de plaisir me parcouraient l'échine lorsque je me remémorai la peur de l'interdit-je n'avais évidemment pas l'autorisation de rester chez Alice- et les mensonges alambiqués pour soutirer quelque dix euros à ma mère, que je savais plus souple que mon père sur la question de l'argent.

Alice m'avait confié son bonheur d'être si près de Valentin tout ce temps, et j'avais répondu qu'il en avait été de même avec Lony.
À ce moment-là, la petite voix dans ma tête me soufflait que ça n'était pas vrai, et que mon exaltation provenait surtout d'Alice, qui m'avait laissé mordre dans son kebab.
J'avais rougi lorsqu'elle s'était écriée devant tous : «Ah mais bave pas dessus !»

J'aurais fait remarquer à n'importe qui d'autre l'oubli de la négation mais comme Alice n'était pas n'importe qui, j'ai perdu mes moyens et me suis mise à bafouiller. Alice avait coupé court à mes tentatives argumentaires et, la bouche pleine, avait conclu par un :
«T'es vraiment un boulet toi hein.»

J'avais haussé les épaules, ce qui s'apparentait plus un accord qu'à un réel désintérêt.

C'est sur ce souvenir que je m'endormis, le sourire aux lèvres et la tête déjà embrumée de rêves, car j'étais sans nul doute la seule à savoir que c'était ce qui se rapprochait le plus, dans la bouche d'Alice, d'un compliment.

J'écrivais avant toi, Alice.
Et toi, si tu n'écrivais pas, tu parlais.
Un drôle de langage, tantôt fleuri, tantôt timide, savant quant aux kebabs, inventif quant aux plaisirs de la vie et surtout déconcerté quant aux propres membres de ton espèce.

A Comme AliceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant