Chapitre 2

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Deux années plus tôt, octobre 2054.

Circuit international Nelson Mandela – Johannesburg, Afrique du Sud.

Encore une fois, la course tenait toutes ses promesses. Dans son bolide noir, le pilote australien tenait tant bien que mal la tête face aux assauts répétés de ses deux poursuivants. Les trois terreurs de la piste avaient déjà mis un tour d'avance à la plupart des dix-huit autres concurrents et se livraient une bataille sans merci dans les virages escarpés de ce quatrième rendez-vous de la saison. Sous une pluie fine, les moteurs rugissaient sur l'asphalte à une allure effrénée et l'odeur brûlée des pneus englobait le circuit et les cent cinquante mille spectateurs.

Il ne restait plus que trois petits tours à accomplir, mais les ordinateurs transmettaient de plus en plus de données alarmantes aux ingénieurs, tous plus pâles les uns que les autres. Les trois pilotes poussaient leurs engins au maximum de leurs capacités, roulant à plus de 386 km/h de moyenne alors que les autres plafonnaient à 374 km/h. Quand ils dépassèrent encore une fois la ligne d'arrivée, ils firent frotter leurs pneus dans les deux épingles successives. Nul doute quant à leurs motivations, la couronne de champion du monde offrirait au vainqueur suffisamment de richesses pour tutoyer les étoiles jusqu'à la fin de ses jours. Beaucoup de pilotes s'y tuaient, ce qui faisait dire à beaucoup que les progrès technologiques avaient reculé considérablement en l'espace de trente ans, quand la course s'appelait encore Formule 1.

« Que des personnes s'indignent, je le conçois totalement, avait alors répondu le directeur général du Grand Rush à une journaliste, mais nous devons y voir autre chose. Ce sport est fait d'adrénaline, de vitesse, de suspense, de génie et de créativité ! La variété des prototypes en piste est exceptionnelle ! Certains ont trois roues, d'autres quatre, d'autres six... Certains ont le moteur à l'avant, d'autres à l'arrière, certains pilotes sont même couchés ! C'est un véritable laboratoire d'ingéniosité pour les marques ! Et que dire de l'attrait démentiel de la part des téléspectateurs partout dans le monde ! Profiter d'un sport sur les écrans, chez soi... D'autant plus que vous n'avez pas à débourser le moindre argent pour toute cette panoplie de divertissement... Voilà ce qu'est le véritable luxe ! Imaginez ! Deux milliards ! Deux milliards de téléspectateurs, à chaque course ! »

En effet, nombreux étaient les pays qui fournissaient gratuitement à la population les écrans les plus perfectionnés. Si assister aux événements sportifs était très onéreux, la plupart étaient diffusés gratuitement sur les télévisions, notamment le football et le Grand Rush. Certains États avaient même poussé la logique beaucoup plus loin, intégrant des capteurs dans les immenses télévisions incurvées. Par la loi, ils avaient rendu obligatoire le visionnage minimal quotidien des chaînes nationales, notamment celles qui relayaient de l'information et qui étaient bien évidemment contrôlées par le pouvoir. Les réfractaires se risquaient à des peines qui allaient crescendo, d'une légère diminution de salaire à une peine d'emprisonnement.

Sur la piste, le dernier tour venait d'être entamé et le pilote australien commençait à faiblir, son moteur ne rugissait plus aussi fort.

« D'où ça vient ?! Mario ! D'où ça vient ?!

— Aucune idée boss ! Les ordinateurs n'affichent rien, c'est lui !

— Impossible ! Bidouille ton ordinateur là, allez ! Fais vite !

— Tout de suite boss ! »

Tous les indicateurs sont au vert, c'est le pilote, pas le proto ! Il faiblit !

« Alors ?!

— Rien boss, j'ai tout vérifié trois fois. C'est le pilote. »

Le poursuivant, Australien lui aussi, comprit qu'il avait là une fenêtre de tir. Avec son bolide rouge, il se rua de plus belle sur les pneus arrière du bolide noir devant lui, distançant suffisamment le troisième. Dans la première épingle, les deux Australiens firent frotter les flancs de leurs fusées lancées à toute allure et le leader de la course donna un coup de volant instantané vers l'intérieur du virage. Le bolide rouge freina dans un timing absolument parfait afin de pouvoir se déporter et se préparer au dépassement dans la seconde épingle juste après, ce qu'il fit avec brio.

L'Ordre de JanusWhere stories live. Discover now