Chapitre 8

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Janvier 2055

Quartier de Melting Pot, chambre n°1 du Drink This is my Piss – Doha, Qatar.

Le soleil déjà chaud traversait les persiennes de la pièce. Rylad était allongée nue sur Altaïr, endormie de tout son long. Il aimait la compagnie de cette femme, car elle le libérait un peu de lui-même. Pour elle, il représentait bien plus qu'un amant régulier. Elle espérait simplement qu'il la sorte des tréfonds de Doha. Elle aussi s'était confiée peu à peu, comme l'avait fait Amberson. À l'heure qu'il était, l'irlandais devait être en train d'écumer le bordel du Triple Kiss For Men, à la recherche d'une femme d'Europe de l'Est.

Rylad était arrivée pleine d'espoirs, il y a une dizaine d'années à Doha. Elle avait espéré chanter dans les plus grands casinos de Luxurious Center, perchés tout en haut des très hautes tours. Rapidement, les hauts gratte-ciel et les puissants hommes l'avaient écrasé de leurs poids. Elle n'avait pas forcément un très joli visage, mais son corps faisait fantasmer beaucoup de mâles. Alors elle s'en était servie, au fur et à mesure qu'elle descendait les étages luxueux – et ses lèvres – à la recherche de quoi vivre. Une année durant, elle avait servi dans un bar modeste au cinquième étage de la South Tower. Sa paye était frêle, bien trop pour pouvoir se loger. Rapidement, elle était devenue sans-abri. Alors elle avait rejoint Melting Pot sans un sou, mais n'avait pas mis de temps à se faire embaucher au Drink This is my Piss. Là, elle pouvait y offrir des suppléments pour celles et ceux qui se sentaient seuls, le temps d'une nuit. Elle avait amassé un peu d'argent qu'elle conservait précieusement, pour un jour s'envoler vers une meilleure destination, peut-être pour rejoindre de la famille, quelque part...

« Ouais, j'ai une sœur, dit-elle en allumant une cigarette,mais je ne sais pas où elle est. Aux dernières nouvelles, elle était payée pour porter des fringues... très... chères.

— Et à quand remontent ces dernières nouvelles ?

— À plusieurs années, je ne sais pas combien exactement. »

« Hum... pourquoi tu n'as pas voulu faire... ce que tu fais ici...

— La pute tu veux dire ?

Le mot froissa Altaïr. La petite géorgienne ne semblait plus avoir d'amour-propre pour parler d'elle en ces termes. Pour lui, elle était plus que cela. Logique, puisqu'elle ne me fait pas payer.

— Pourquoi pas là-bas ? Pourquoi pas à Luxurious Center ?

— Les flics, ceux de la répression des mœurs, répondit-elle en allumant une autre cigarette à Altaïr.

— Quoi, tu ne vas pas me dire que les riches ne s'envoient pas en l'air, si ?

— Bien sûr qu'ils le font, mais pour ça, ils doivent fréquenter des établissements habilités. Dedans, ce sont les plus belles créatures de la planète qui les attendent... J'ai essayé, mais... ils m'ont tous dit non.

— Mais ici, les flics...

— Melting Pot, ça ne touche pas aux flics. Ils s'en foutent, ils rôdent autour, mais c'est pour la forme. La plupart d'entre eux sont des ripoux, d'ailleurs beaucoup viennent nous voir nous, les putes informelles... Ici, les établissements sont tous taxés par une grosse organisation. Chaque mois, ils viennent prendre des intérêts. De gros intérêts, même... »

Hinode cachait en réalité une véritable organisation de racket, de pillage et de vol. L'organisation de Benjiro avait effectivement la main mise sur tous les quartiers informels, dans les villes à proximité des ports qu'elle détenait, partout dans les régions du monde qu'elle contrôlait : Amérique du Nord, Afrique du Sud, Japon, Venezuela, Brésil et bien entendu, Moyen-Orient.

« Les flics... quand tu leur fais ce que tu veux au lit, ils te racontent tout. Tout ce qu'ils voient. Les cargaisons surtout, celles qui transitent par les ports comme celui dans lequel tu bosses. Ils me racontent que des bagnoles très luxueuses – celles de collections – sont mises convoyées. Un peu de pognon aussi.

— Ouais, j'ai cru en voir une ou deux,répondit Altaïr, mais de loin seulement. Je ne touche pas à ça.

— Il n'y a pas que cela.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— L'un d'entre eux m'a fait une confidence l'autre soir, ce gros dégueulasse est dingue de moi... pesta Rylad.

— Il te pose des problèmes ? demanda Altaïr.

Rylad sourit, touchée par cet élan d'affection, et lui déposa un baiser.

— Non, il m'a dit que je pourrais avoir de la concurrence dans les semaines à venir, que je devrais revoir mes tarifs à la baisse si je voulais toujours continuer. Après, il est parti. »

Altaïr ne répondit rien, mais devina ce qu'avait sous-entendu l'officier de police auprès de Rylad. Cependant, il avait besoin de plus d'informations à son sujet.

« Il a accès aux conteneurs ? demanda-t-il.

— Aucune idée, répondit Rylad, je sais juste qu'il bosse sur les quais est.

Les quais est... là où le meurtre de la jeune femme s'est produit l'autre nuit.

— Il vient souvent ?

— Quoi, tu es jaloux ? s'amusa Rylad.

— Réponds-moi simplement, est-ce qu'il vient souvent ?

— Seulement le jeudi soir. »

Le flic s'appelait Tirhus. Un plan commença à se dessiner dans la tête d'Altaïr.

« Et toi, ça te plait de bosser avec tes bateaux ? lui demanda Rylad en se rhabillant.

— C'est un boulot, ça me permet de vivre. Je ne compte pas rester là où j'en suis, tu sais.

— Tu es du genre prédateur ? Prêt à manger tous ceux au-dessus de toi ?

— Ouais, je compte bien monter dans l'un de ces engins volants, là-bas.

Altaïr désignait les sommets des grandes tours qui s'éclairaient au petit jour. Il mentait effrontément à Rylad cependant, il avait déjà grimpé à bord des bolides à propulsions qui slalomaient sur plusieurs niveaux d'altitudes, il en avait même piloté un après l'avoir volé.

— Tu penses réussir ?

— Oui, répondit-il sans même réfléchir. Je réussirai. Je t'enverrai de l'argent.

— Merci, mais tu sais, continua-t-elle,je préférerais plutôt que nous deux...

— Je sais, Rylad. Mais ce sera impossible. »

Altaïr se demandait comment cette femme d'apparence si fragile pouvait survivre dans ces quartiers noirs et vicieux. Partout rodaient des hommes dangereusement armés, les clients du bar dans lequel elle bossait étaient chaque soir ivres morts et devenaient violents. Pourtant, malgré ses vêtements trop amples, elle tenait encore debout, elle et son regard d'acier. Il se leva et fouilla dans ses affaires puis en sortit une épaisse liasse de billets.

« Non, pour toi tu ne payes pas. Et puis c'est beaucoup trop.

— Écoute-moi attentivement, je vais avoir besoin de ton aide. Après cela, il faudra que tu quittes la ville, peut-être même ce pays.

— Qu... Pourquoi ? s'inquiéta Rylad. Qu'est-ce que tu me fais là ?

— S'il te plait Rylad, fais-moi confiance, veux-tu ? »

Elle hocha le menton puis Altaïr lui expliqua ce qu'il avait en tête. Il se rhabilla, l'embrassa sur le front. Sur le pas de la porte, prêt à partir, il se retourna.

« Dis-moi, tu sais si quelqu'un troque des pièces informatiques dans le coin ? »

L'Ordre de JanusWhere stories live. Discover now