Chapitre 13

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Deux mois plus tard – mai 2055

Après les départs presque coup sur coup de Rylad et Amberson, puis l'échec du plan visant à faire tomber Farletti, Altaïr se sentait acculé. Il s'était laissé pousser une barbe épaisse sur sa mâchoire solide, s'était laissé pousser les cheveux, jusqu'à les attacher derrière sa tête avec une queue de cheval. Il continuait ses exercices quotidiens dans son baraquement pour que son mètre quatre-vingt-sept reste affûté, mais il se sentait fatigué.

Cependant, il n'en restait pas moins un contremaître plutôt apprécié par les ouvriers qui, pour quelques-uns d'entre eux, espéraient qu'il remplace le milanais comme gestionnaire de Port Hamad. Pour cela, Amberson lui avait bien répété qu'une enquête d'activités était parfaitement envisageable pour éjecter Farletti, mais il l'avait aussi mis en garde. En cas d'échec, Altaïr se retrouverait simple ouvrier, une simple petite main comme il l'avait été au tout début, il y a un peu plus de sept mois. Cela signifierait que sa mission serait presque entièrement avortée. Et maintenant que son plan initial avait été mis en échec par des flics véreux, mais zélés, il allait devoir trouver un autre stratagème pour faire tomber l'homme au-dessus de lui. Il savait que, s'il y parvenait, il remporterait ensuite haut la main les élections pour devenir le nouveau gestionnaire.

Mais en deux mois, quand la routine quotidienne s'était égrenée aussi régulièrement que le sang qui lui coulait dans les veines, Altaïr n'avait rien trouvé, pas même une brèche. Il s'était plongé dans un désarroi qui grandissait au fur et à mesure des jours qui passaient, du haut de son portique. Amberson avait été remplacé par un Indien, Parvatinandan. Parva, pour faire plus simple. Il faisait bien son boulot, aussi bien que le faisait le gros irlandais, mais il était d'un ennui mortel, aussi animé que ne pouvait l'être un corps dissous dans de l'acide. Et je sais de quoi je parle. Altaïr se demandait souvent ce que devenait Amberson. Avait-il réellement construit un rafiot pour rejoindre la mer d'Arabie ? Ce con pourrait en être capable.

Farletti quant à lui, toujours propre sur lui, arrivait et repartait à bord de son hélicoptère, du lundi au jeudi, puis s'en allait sans doute côtoyer les hautes lumières de Luxurious Center. Altaïr n'avait même plus l'envie de sortir dans Melting Pot. Sans Amberson, les bières et les putes n'avaient plus la même saveur. Il se souvenait des derniers mots que son ami irlandais lui avait balancés, avant de sortir du Triple Kiss For Men. Mais il ne voyait pas comment il pouvait faire tomber Farletti. Ses rapports sur son Pod étaient bien plus conventionnels et plus courts ; parfois même, il hésitait à en rédiger, n'ayant rien à dire. Ce n'était pas du désespoir, juste un long passage à vide comme il en avait rarement connu. Jamais, pourrait-on dire... Il n'était toujours pas parvenu à comprendre l'énigme à propos d'Helsinki. Il était juste persuadé qu'il ne s'agissait pas de la capitale de la Finlande, qu'il avait déjà vu quelque part ce nom, ici, à Doha.

Quand il rentra un soir dans son baraquement, il se laissa abattre sur son lit. Il était asséché par la chaleur qui s'était comprimée dans sa cabine. La saison douce laissait peu à peu place à la saison chaude au Qatar. Jusqu'à octobre, les pics de chaleur allaient être plus intenses, atteignant parfois les 50°C en juillet. Du haut de sa cabine perchée, Altaïr avait déjà noirci sous les 29°C, températures régulières des derniers jours. Les pluies se faisaient quant à elles très rares et l'air asséchait les gorges des ouvriers qui s'agitaient sur les quais. La plupart d'ailleurs travaillaient torses nus, inconscients quant aux effets des rayons du soleil sur leur peau. Les tempêtes de sable se faisaient beaucoup plus fréquentes et les milliers de petits grains venaient souvent faire grésiller les conteneurs et les structures métalliques des immenses machines de Port Hamad.

Altaïr enleva ses habits. Mais l'étouffement de chaleur le saisissait toujours à la gorge. Vers 21 : 00, il commençait à s'endormir sur sa couchette quand son pouce gauche vibra légèrement. Il activa son Pod sous la peau de son avant-bras droit et y lut un court message lumineux où RF – pour République française – était inscrit en en-tête.

L'Ordre de JanusWhere stories live. Discover now