Rejeter le jetable est mon gravier de Sisyphe quotidien. Je vous prie de bien vouloir m'excuser de vous parler de si négligeables choses et de si humbles matières.
J'ai un petit sac en coton imprimé inusable et d'origine incertaine qui contient une serviette de table également en coton imprimé, un carré de serviette éponge, une cuillère, une fourchette et un couteau en acier inoxydable, une paire de baguettes en bois, un quart émaillé. Hors du sac, j'ai un bidon de métal à bouchon hermétique, qui, sans être une thermos, préserve bien le chaud et le froid des liquides qu'il contient. C'est un attirail disparate et pas cher, qui pourra me durer ma vie entière si j'en prends soin. Le problème ou le jeu, c'est de l'avoir à ma disposition quand j'en ai besoin et de ne pas oublier d'en faire usage. C'est mon gravier de Sisyphe que je pousse, perds, retrouve, et repousse, parfois victorieuse, souvent vaincue. Dans les avions, il est impossible de vaincre, à moins de ne rien consommer ni excréter durant toute la durée du vol.
Nos vies quotidiennes sont ainsi organisées qu'il faut un acte de volonté pour résister à la facilité de s'essuyer les mains dans des serviettes en papier ou en les passant au sèche-mains électrique, de boire du café ou du thé dans des gobelets en plastique ou polystyrène, d'utiliser des couverts en plastique, d'acheter des bouteilles d'eau en plastique. En bref, dès que l'on sort de chez soi, on se voit constamment invité à jeter derrière soi un large sillage de matériaux jetables mais durables dans les champs d'ordures où ils terminent leur brève carrière inutilitaire.
Imaginez que vous soyez obligé de disposer vous-même de toutes les ordures que vous produisez et que vous n'ayez d'autre lieu de stockage que votre pièce principale. Ne pensez-vous pas qu'en moins d'une semaine votre demeure serait inhabitable?
A la réflexion, je crains que cet argument n'échoue à vous convaincre de changer vos habitudes de consommation. Il y a nombre d'exemples de communautés et d'individus qui s'accommodent de vivre au milieu des ordures, les leurs et celles des autres. On pourrait dire que ces communautés et ces individus n'ont, dans la plupart des cas, pas le choix. Mais je me demande si, au fond, ces communautés et individus ne révèlent en tous un goût partagé de l'ordure. Nous aimons nos ordures. Je ne vois pas d'autres raisons à notre enthousiasme à en produire autant dès que nous en avons les moyens.
Alors pourquoi rouler mon gravier de Sisyphe et me livrer à ces actes volontaires ridicules qui ne diminuent la montagne que d'une minusculissime fraction?
Pour le panache. Une plume, c'est bio-dégradable.
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Micromorales + Inktober
Non-FictionCourts textes écrits par Virginie Greene, illustrés par Eponyme. Collaboration dans le cadre de l'Inktober 2019.