Nos corps, nos enfants

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Ça va? La santé? Les enfants? Il y a une curieuse symétrie entre nos corps et nos enfants

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Ça va? La santé? Les enfants?

Il y a une curieuse symétrie entre nos corps et nos enfants. Ils nous préoccupent fort. Nous nous en occupons beaucoup. Nous sommes supposés nous en occuper beaucoup. Nous les gâtons souvent; nous les maltraitons parfois.

Corps et enfants sont à nous et de nous, bien qu'ils ne soient pas notre propriété. Nous ne possédons pas nos corps comme nous possédons nos vêtements. Nous ne possédons pas nos enfants comme nous possédons notre maison. Pourtant il arrive que des corps et des enfants soient vendus et achetés. Celui ou celle qui vend son corps suscite un mélange de mépris et de pitié. Pour celui ou celle qui vend son enfant, le mépris et la pitié cèdent la place à la révulsion. Nos enfants nous sont plus précieux que nos corps et nous paraissent plus vulnérables. Nous souffrons plus du mal fait à nos enfants, un mal qui nous enrage et nous désespère, que du mal qui nous touche dans notre moëlle charnelle. Imaginer la souffrance physique et mentale d'un enfant ouvre de vastes possibilités de tortures mentales. Apparemment, cela ouvre aussi de vastes possibilités de plaisirs pour certains, lesquels sont prêts à courir le risque de la plus grande opprobre pour les goûter, prêts à sacrifier leur corps, leur honneur, leur vie, dans le sacrifice inverse de celui d'un parent.

Dans nos sociétés dites développées, nous traitons mieux nos corps et nos enfants qu'autrefois et ailleurs—au moins d'un point de vue statistique. Les taux de mortalité infantile et l'espérance de vie en témoignent. Et c'est une bonne chose. Ce gain s'accompagne d'un niveau d'angoisse élevé au sujet des dits corps et enfants. Nous nous faisons bien du mouron pour nos carcasses et nos rejetons. L'inquiétude ou l'obsession ne signifient pas que nous nous en occupons bien. L'absence totale de préoccupation à leurs sujets nous fait passer dans la zone d'ombre de l'abjection sociale. La modération est difficile à exercer dans ces domaines, car les représentations et les discours tant cosmétiques-hygiéniques que pédagogiques poussent du côté de l'obsession plutôt que de la sérénité. Vous ignorez ce que fait votre enfant en ce moment? Vous ne vous pesez pas tous les jours? Nos enfants autant que nos corps sont la cible d'incessantes campagnes culpabilisantes auxquelles il est difficile de se rendre sourd et aveugle.

Il est probablement impossible d'éviter complètement l'infantilisation du corps et la corporalisation des enfants. Il doit être possible d'arriver à traiter son corps en corps d'adulte, vieillissant, âgé, sans ressentiment ni regret. De fait, la plupart des parents arrivent à un moment ou à un autre à concevoir que leurs enfants ont des corps plutôt qu'ils ne sont des corps émanés des leurs. Mais cela prend parfois du temps. S'il y a des "femmes trophées" il y a aussi des "enfants trophées" et des "corps trophées".

Corps et enfants étant traditionnellement la part des femmes, ils sont devenus des lieux d'intenses négociations des identités féminines et masculines. S'occuper de son corps, s'occuper de son enfant n'est toujours pas perçu comme un marqueur de virilité, mais est de plus en plus perçu comme neutre. Après tout, les hommes aussi ont des corps et des enfants. Qui se moque aujourd'hui d'un homme qui utilise de l'eau de toilette ou change une couche? Du côté des femmes, la transaction est tout aussi délicate, peut-être plus, car il ne s'agit pas de jeter corps et bébés avec l'eau du bain, mais de trouver avec eux une relation non naturalisée. Une relation délibérée.

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