Tout lieu a besoin de son génie pour s'ancrer dans le temps. Ce génie a différents noms et caractéristiques. Ici on l'appelle un dieu, là un troll, ailleurs un esprit. Il est associé à des éléments du paysage, des animaux, ou des morts. Le génie du lieu n'a rien d'autre à faire que d'être là, ce qui implique une fidélité sans faille à son lieu. Ni cumul de fonctions ni déménagements ne sont permis dans sa carrière. Le génie de cette colline ne peut être affecté à la colline voisine. Sa grande longévité s'obtient au prix d'une mobilité nulle.
Un génie du lieu sert à nous rappeler notre éphémérité et à nous en consoler en nous donnant l'espoir que quelque chose de ce que nous aurons été restera attaché à un lieu auquel nous aurons été particulièrement attachés. Le génie du lieu se souviendra de nous, quand personne d'autre ne pourra plus le faire. Dans l'immédiat, il nous aide à limiter la béance de l'espace et à organiser le chaos de choses et d'êtres en devenir qui l'habitent. La géographie n'aurait jamais pu exister si l'on n'avait pas, dans des temps très anciens, nommé une roche "la roche des Fées," une autre "la roche Saint-Martin", et encore une autre "la roche du Diable". Quand les fées, les saints et le diable ont perdu de leur ascendant, la nomination a continué à rappeler le pacte ancien entre le lieu et son génie.
Les génies du lieu ont plus d'importance et de prestige en certains endroits et en certains temps. Mais ils ne peuvent être complètement éliminés d'aucune culture. Refoulés par amnésie ou folklorisation, ils reviennent sous forme de plaques commémoratives, de panneaux signalant un point de vue, de vierges en plâtre et de nains de jardin.
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Micromorales + Inktober
No FicciónCourts textes écrits par Virginie Greene, illustrés par Eponyme. Collaboration dans le cadre de l'Inktober 2019.