Un peu à l'écart de John, Sherlock, et du Docteur, Aziraphale gardait les yeux rivés sur Crowley, qui semblait ne rien remarquer. Peut-être qu'il ignorait l'ange. Peut-être était-ce mieux ainsi. Aziraphale hésita.Il n'avait pas souvent perdu sa patience au cours des derniers millénaires, Aziraphale. Il avait toujours gardé son calme, même quand Crowley s'était mis à traîner avec Léonard de Vinci juste quand l'ange commençait à fréquenter Michel Ange, et même quand il s'était aperçu qu'ils s'étaient trompé de garçon après onze ans, il était resté calme.
Mais il n'avait jamais ressenti une haine aussi profonde qu'à cet instant. Un ange n'était pas censé ressentir de la haine, mais comment décrire cette rage sourde et ce manque flagrant d'amour envers l'Enfer ? Ces marques, sur le cou de Crowley, qui s'étendaient certainement bien plus loin sous ces vêtements, elles n'étaient pas anodines.
Elles étaient l'incarnation même des tourments infernaux. L'Enfer avait torturé Crowley, son Crowley, qui restait prostré sur le canapé, enfermé dans son silence et dans sa douleur si évidente !
Aziraphale tendit les doigts malgré lui pour dégager le col de Crowley et ainsi mieux mesurer la gravité de ses blessures, mais avant même que le bout de ses doigts ait touché sa peau, Crowley fit quelque chose qu'il n'avait jamais fait auparavant, et qui blessa profondément Aziraphale.
Il frappa violement le bras de l'ange pour l'éloigner de lui et siffla d'une voix mauvaise :
- Pas touche, mon ange.
Il y avait le son des personnes qui parlaient derrière, mais Aziraphale aurait juré que le son de son cœur qui se brisait en milles milliers de petits morceaux coupants était le seul son qui résonnait à cet instant, il aurait juré que c'était le seul son qu'il n'avait jamais entendu et qu'il entendrait jamais. Les éclats de verre brisés de son cœur allèrent se ficher un peu partout en lui : dans ses mains, dans ses jambes, dans son ventre, mais la plus grande partie alla se réfugier dans sa gorge, la nouant comme s'il s'étranglait, et dans ses yeux qui à présent le brûlaient. Il fit la seule chose qui lui parut logique : il s'enfuit, et alla répandre de l'amour ailleurs, puisque Crowley n'en voulait pas.
Crowley, en voyant des larmes emplir les yeux bleus d'Aziraphale, se sentit immédiatement coupable et faillit retenir l'ange. Mais heureusement, au dernier moment, il se ravisa. Le souvenir de quelques mots lui revint « Fais tomber Aziraphale. Fais-le, ou nous le tuerons. ». Crowley devait faire Chuter Aziraphale, de la manière la plus simple qui soit : le tenter, plus qu'il ne l'avait jamais fait.
Crowley retira ses lunettes de soleil pour les garder entre ses doigts et les fixer, sans rien faire, ni rien dire. Il ne savait pas ce qu'il faisait encore ici. Il aurait pu partir, loin de tout, loin de l'ange, loin de la civilisation, et apprendre la mort certaine d'Aziraphale. Partir ? Loin de lui ? Loin d'Aziraphale ? Sa mort ?
- Vous allez bien ? demanda une voix près de lui.
Crowley tourna la tête sans même avoir le réflexe de mettre ses lunettes de soleil et dévisagea celui qui s'était rassit à côté de lui. John Watson le regardait, décontenancé par les yeux oscillants entre l'orange et le jaune, fendus de deux pupilles verticales et noires.
- Vous tremblez.
- Je...
La bonté des humains l'avait toujours étonné. Malgré la noirceur évidente, plus que chez certains démons, même, il y avait toujours, toujours des hommes qui étaient bons. Ce John Watson en faisait indéniablement partie. Crowley finit par répondre :
- Je vais le perdre.
Ses yeux s'étaient instinctivement tournés vers Aziraphale, qui parlait avec le Docteur, et ceux de John suivirent.
- Je ne sais pas de quoi vous parlez, mais j'ai l'intuition qu'il vous suivrait jusqu'au bout du monde.
- Il l'a déjà fait... murmura Crowley en remettant ses lunettes.
Puis subitement, il se tourna vers John et lui tapa amicalement dans l'épaule – visiblement, ces six mille ans sur Terre n'avaient pas réussi à lui enseigner le tact :
- Et vous avec Sherlock ?
John toussa bruyamment et Sherlock lui lança :
- Moins fort, John !
Crowley adressa un sourire complice à John, qui nia tout en bloc, avant que le Docteur ne vienne s'affaler entre eux deux sur le canapé :
- Rien ! Rien du tout ! Pas de fissure, pas de trou dans le temps, pas d'univers parallèle !
John fronça les sourcils. Crowley grimaça et marmonna :
- Rien d'intéressant, quoi.
Le Docteur acquiesça tristement, et se mit à parler à John de l'espace et des étoiles. Crowley se mit en tête l'idée d'aller rejoindre Aziraphale, qui continuait de chercher avec Sherlock, qui ne décourageait pas. Le démon se leva, eut un rictus de douleur et dut s'appuyer sur une des étagères. En voyant ses précieux livres en danger – et un démon qui n'était pas au meilleur de sa forme – Aziraphale s'approcha immédiatement et demanda :
- Tu vas bien ? Tu peux marcher ? Tu devrais rester assis mon cher.
- Ngggk. J'me sssuis levé trop vite, marmonna vaguement Crowley.
Aziraphale prit délicatement le bras de Crowley pour le remmener au canapé, et Crowley insista pour marcher tout seul. Mais quand Aziraphale le lâcha, Crowley s'écroula sur le sol et ferma lourdement les yeux.
Le Docteur, mû par un vieux réflexe, se leva immédiatement pour aller s'accroupir à côté de Crowley et vérifier qu'il était toujours en vie – il respirait encore. John eut exactement le même réflexe, et le Docteur et lui se dévisagèrent. Sherlock se contenta de jeter un regard dans sa direction, et en voyant que John s'en occupait, il reporta son attention sur le mur qu'il inspectait.
Aziraphale, lui, s'agenouilla à côté de Crowley, au niveau de sa tête, et se mit à caresser ses cheveux alors que John se rendait compte que Crowley était blessé. Le médecin – le vrai – déboutonna la chemise noire de Crowley, sous le regard d'Aziraphale. John le rassura :
- Je suis médecin.
- Je vous fais confiance, répondit Aziraphale.
John finit de retirer la chemise du démon pour étudier attentivement ses blessures. De larges plaies s'étendaient au travers de son torse, au moins quatre ou cinq. Sur les bords des plaies, il y avait du sang séché, et du sang en sortait encore. John se mordit l'intérieur de la joue pour éviter de s'exclamer. Crowley n'aurait jamais pu tenir si longtemps – le temps qu'il entre dans la librairie, qu'il s'assoit, qu'il discute avec John - sans s'évanouir s'il était humain.
Aziraphale, lui, ravala un cri de surprise en voyant toutes les traces sur le corps de Crowley. Il s'adressa à John :
- Venez avec moi.
Puis l'ange passa ses bras sous Crowley pour le soulever et il l'emmena dans la chambre à l'étage. John le suivit naturellement, et dès que Crowley fut allongé sur le lit, Aziraphale montra à John la trousse de secours. Et il eut une intuition qu'il aurait préféré ignorer. Il dit à John d'enlever complètement la chemise de Crowley et de le retourner, pour vérifier son dos.
Et l'intuition d'Aziraphale se confirma. Une vague de haine le submergea et il confia Crowley aux mains de John, qui commençaient déjà à désinfecter et à panser avec attention. Aziraphale s'éloigna et descendit. Il avait quelques comptes à régler avec Lucifer.
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À la Croisée des Chemins
FanfictionQuand Aziraphale, ange, Gardien du Jardin d'Eden, dit M. Fell, demande de l'aide à Sherlock Holmes, détective consultant de son état, sauveur de Scotland Yard et meilleur ami de John Watson, médecin vétéran. Quand (Anthony. J. ) Crowley, ancienneme...