Chapitre 9 : Doute et Enfer

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Le Docteur baladait ses mains un peu partout, déplaçant des objets, se marmonnant à lui-même dans une langue perdue qu'aucun des autres occupants de la pièce n'auraient pu comprendre. Il y avait Sherlock, qui faisait comme le Docteur, et cherchait de possibles trous dans le tissu de l'univers – ce ne pouvait être que ça, lui avait expliqué le Docteur.

Mais le Docteur ne faisait pas que chercher. Il ne faisait jamais qu'une seule chose à la fois, il y avait toujours son cerveau qui tournait à plein régime et les pensées qui fusaient à la seconde, toutes plus folles les unes que les autres.

Il y avait des visages, souvent, qui revenaient. Des femmes, des hommes, des Seigneurs du Temps, de vieilles connaissances... Et aux souvenirs enterrés dans sa mémoire s'étaient ajoutés Amélia et Rory. Le Docteur savait, il savait parfaitement que les humains mourraient plus vite que les Seigneurs du Temps, il savait pertinemment que s'attacher était une perte de temps...

Non, ce n'était pas une perte de temps. Disons simplement que s'attacher aux humains était une damnation. Oui, il était condamné : à vivre et à se souvenir quand les autres autour de lui continuaient de mourir, ou de partir, de l'abandonner, encore et encore.

Un « ding » le sortit de ses pensées. La petite machine que le Docteur avait dans les mains ne fonctionnait pas souvent, mais le Docteur ne semblait pas s'en rendre compte – ou alors, il en était plus amusé qu'autre chose. En ignorant délibérément la scène de ménage à laquelle Crowley et Aziraphale se livraient, le Docteur attira l'attention de John et Sherlock vers ce qui avait déclenché la machine, soit un livre de Wilde.

Ils échangèrent tous les trois un regard suspendu dans le temps, méfiants pour John et Sherlock, excité pour le Docteur, qui saisit entre ses doigts le livre.

Et... Rien. Il n'y avait rien derrière, juste un mur. Tout ce qu'il y avait de plus normal. John ferma les yeux et se détourna, Sherlock fronça les sourcils en observant le mur et le Docteur lâcha un soupir théâtral. Rien, comme il aurait dû le prévoir.

A quoi s'attendait-il ? S'attendait-il à ce qu'il y avait une fissure sur le mur ? Tant qu'à rêver, pourquoi pas imaginer une retrouvaille avec un de ses anciens compagnons ? Pourquoi pas Jack, tiens ? Il lui manquait particulièrement ces temps-ci, et plus le temps passait, plus le Docteur regrettait que l'immortel n'ait pas rencontré les Ponds.

Mais il s'égarait dans ses pensées. Derrière lui, il sentit la présence angélique d'Aziraphale et se retourna, un grand sourire d'enfant sur le visage :

- Nous n'avons rien trouvé ! Rien du tout ! Mais ça va venir !

- Merci infiniment Docteur, sourit l'ange.

Le Docteur avait toujours su que Dieu existait. Il avait souvent nié l'existence du Tout-Puissant, mais il avait croisé un ange sur Terre et avait vite changé d'avis. Son nom commençait par un C, mais le Docteur était incapable de se souvenir de la suite de son prénom : il en connaissait déjà tant.

L'extraterrestre savait qu'il était impossible de se rendre en Enfer ou au Paradis en TARDIS, et ce n'était pas faute d'avoir essayé. Il avait donc juste assimilé ce savoir dans un coin de son esprit en faisant ses petites recherches, jusqu'à tomber sur cette petite librairie de Soho, où le propriétaire avait engagé un détective afin de retrouver des livres perdus –volés ?

Le Docteur avait tout de suite raccordé ces disparitions à la fameuse fissure dans l'univers : elle pouvait peut-être déborder sur leur réalité et attirer à elle quelques objets ou personnes : c'était tout à fait possible. Mais plus le temps avançait, moins le Docteur accordait de crédit à cette théorie. C'était tout à fait invraisemblable, et la fissure n'était même pas dans la librairie ! Mais le Docteur s'accordait toujours le bénéfice du doute... Et il faisait bien.

Le soir de la journée précédente, Crowley avait reçu une note venue des Enfers. Trois fois rien, vraiment : un bout de papier jauni pour le convoquer au fin fond des Enfers. En gros, au bureau de Lucifer. Ce qui en soi, n'était pas trois fois rien, et que c'était certainement beaucoup plus grave que ce à quoi Crowley se forçait à s'attendre.

Le démon savait très bien ce qui l'attendait. Une nuit en enfer. Ce n'était pas long, une nuit, sur Terre. Mais c'était dix ans en enfer. Crowley se dirigea le plus tranquillement du monde jusqu'à une bouche de métro qui menait à l'entrée des Enfers, puis il déambula dans les couloirs puants et éclairés de néons blafards comme s'il était chez lui.

Cela faisait un moment qu'il n'avait pas vu Lucifer. Cela faisait un moment que personne n'avait vu Lucifer, depuis cinq cent ans peut-être. Certains avaient même pensé qu'il était mort, mais le Maître des Enfers ne peut pas mourir, pas vrai ?

Crowley adressa des larges sourires à tous les démons qu'il croisa. Il ne pouvait décemment pas leur montrer que ses mains tremblaient de peur et que la terreur pulsait dans son ventre, ils en auraient joué pendant des années. Le démon passa finalement la grande porte du bureau de Lucifer, qui n'en était pas vraiment un.

Un œil humain n'aurait vu qu'un homme aux cheveux noirs ébènes, dans un costume impeccable, assit sur un fauteuil doté de roues, dans un bureau un peu sale qui faisait tâche par rapport à l'allure élégante de l'homme. Mais Crowley ne voyait que les yeux entièrement noirs de son patron, que les vers rassemblés dans les coins de la pièce, dans la moisissure qui infestait l'odeur ambiante, que les néons qui projetaient une lueur blanche qui exposait la moindre crasse, et ce bureau qui ne manquait justement pas de saletés.

L'homme, qui n'en était clairement pas un, invita d'un geste du bras Crowley à s'assoir sur la chaise en face du petit bureau gris recouvert de dossiers à moitié mangés par les vers et les insectes. « Pas étonnant qu'ils ne vérifient jamais mes rapports » pensa Crowley en s'asseyant malgré lui sur la chaise sale. Il faudra qu'il rachète un jean, mais ce n'était pas la priorité.

- Hello, patron. Ça roule ? lança Crowley.

Il allait être sévèrement puni, alors autant être insolent jusqu'au bout, pas vrai ?

- J'ai une mission pour toi, Raphaël...

Son ancien nom arracha un frisson à Crowley, et il aurait juré que Lucifer l'avait remarqué et qu'un rictus avait légèrement déformé son visage. Lucifer l'avait certainement fait exprès.

Le reste de la nuit se noya en sang et hurlements de souffrance.

Merci infiniment pour les 200 lectures ! Et ne vous inquiétez pas, Crowley va bien...

À la Croisée des CheminsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant