5

65 10 48
                                    

— Cléandre, clignotant.

— Je sais...

— Si tu sais, pourquoi tu l'as pas mis ?

— Parce que ça sert à rien, s'il y a personne derrière moi.

— C'est pas une raison. Tu dois le mettre à chaque fois, ne serait-ce que pour prendre l'habitude, point barre. Au prochain feu, tu prends à droite, sur le boulevard.

Je déteste faire la conduite avec mon père. J'ai l'impression d'être à l'armée.
Seule la perfection est autorisée, et tout obstacle possible et inimaginable doit être anticipé 2km à l'avance, surtout qu'il me laisse apprendre sur sa BMW. Autant dire qu'à la première rayure, ce tyran n'hésitera pas à retenir la somme des réparations sur mon argent de poche.
Sauf que je galère avec les dimensions du véhicule, et que conduire une berline en ville est un vrai calvaire. Parfois, j'en viens même à regretter la Peugeot 208 toute claquée de l'auto-école avec son gabarit beaucoup plus simple à manœuvrer.

Mon père continue de me donner les directions à suivre, et à plus grand désespoir, nous ne nous rapprochons pas de la maison. Au contraire, il m'entraine toujours plus près du centre-ville, en enfer.
Il y a plein de circulation, plein de kékés en scooter ou en vélos qui déboulent de nulle part, des piétons qui traversent à l'arrache, des travaux de partout, et en plus il fait nuit, et j'ai horreur de conduire de nuit.

— Stop. Gare-toi là.

Il m'arrête dans une rue à sens unique et me désigne une place libre entre deux grosses voitures.

— Sérieux ? Mais c'est tout petit, je vais galérer !

— Tu penses que l'examinateur en aura quelque chose à faire de tes galères ? Tu te gares là, point.

— Putain...

— Surveille ton langage, jeune homme.

— Pardon...

Je me range sur le côté, passe la marche arrière. Ma première tentative échoue et je dois ressortir pour tout recommencer. La deuxième fois, je braque trop tôt et la voiture dépasse de moitié de la place. Je commence à ressortir pour arranger le coup, quand le tocard derrière nous commence à klaxonner. Je cale.

— Qu'est-ce qu'il veut l'autre prolétaire avec sa carcasse de Citroën Berlingo ? gronde mon père. Ignore-le, Cléandre, et termine-moi cette manœuvre.

Sauf que l'autre bouffon avec son épave de Berlingo klaxonne encore et m'angoisse. À cause de lui, je fais que caler et je suis saoulé ! Je déteste conduire !

— Putain, papa, il me casse les couilles, ce sale prolo, là !

— Saleté de Parisien ! Bouge pas.

Mon père sort de la voiture en mode furie pour aller hurler sur ce connard immatriculé « 75 », et lui rappeler que « les autocollants « conduite accompagnée » sont pas là pour décorer la bagnole, putain ! ».

Profitant d'être à l'extérieur, il me guide et m'aide à me garer comme il faut. Le Parigo en Berlingo nous dépasse sans manquer de m'adresser un doigt d'honneur auquel je réponds par deux doigts levés et une grimace. Heureusement, le daron ne voit rien de la scène.

Enfin, après 28 minutes supplémentaires de calvaire, nous arrivons devant le portail de la maison. Le temps que les grilles s'ouvrent, mon père remplit mon carnet de conduite.

— Tu te débrouilles pas trop mal, Cléandre, mais il va falloir penser à tes clignotants et travailler tes manœuvres. J'ai déjà demandé à l'auto-école de te bloquer une date pour janvier, donc il te reste moins d'un mois et demi pour te perfectionner.

Ce qu'ils méritentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant