L'agrafe

10

— T'as de toutes petites mains, remarque Noé allègrement.

Calés sur un banc, tournés l'un vers l'autre, ils discutent de tout et de rien. Louna vient d'enlever ses gants.

— Tu trouves ?

Lou lève son bras, écarte ses doigts et inspecte sa paume. Elle a des restes d'encre bleue sur son pouce et son sourire s'agrandit quand Noé tend la sienne pour les comparer.

— T'as des mains de géant, toi.

Louna sait pertinemment que si elle le souhaite, leurs mains pourraient se coller. Elle montrerait ainsi à quel point la différence de taille est flagrante. Mais elle n'ose pas. Enfin, ce serait trop ambigu sans l'être vraiment.

— T'as de plus beaux ongles que moi, rouspète Lou.

Il rit.

— C'est à cause de la guitare, faut en prendre soin et bien les couper.

Cette fois-ci Noé lui attrape la main brièvement pour la retourner mais la brune la cache aussitôt.

— Je me ronge les ongles, c'est pas beau à voir, avoue-t-elle pour se justifier.

Il hausse les épaules.

— Ma petite sœur fait ça aussi. Tout le temps. C'est genre impossible à arrêter pour elle. Au départ, c'était quand elle stressait et puis, on sait pas pourquoi, elle a commencé à les ronger même à table.

— Je suis pas à ce stade mais c'est pas très glam', je te l'accorde.

Ils changent de sujet même si le contact de leur peau persiste à l'esprit de Lou. Et si je n'avais pas retiré ma main ? Le toucher... Maudit sens addictif. Un point de contact, une brièveté inouïe et pourtant, une ferme onde de chaleur qui se répand au bout de ses doigts.

— Je peux te poser une question ?

— T'es déjà en train d'en poser une... remarque-t-elle en levant les yeux au ciel.

Noé baisse les yeux, les relève, croise son regard avant de se lancer :

— T'as déjà été sur un des mecs de la bande ?

— Pourquoi cette question ?

Il hésite à répondre. Mais Lou s'empresse de lui frapper l'épaule.

— Oublie ce que je viens de te dire. C'est con.

— Réponds Noé.

Soupir. Ses yeux la fuient. Il cède lorsqu'elle s'approche de lui.

— J'sais pas, hier soir chez Léon, les gars parlaient vite fait de toi sur le balcon.

— Comment ça ?

Un silence inconfortable s'installe.

— Non rien.

Lou s'en contrefiche maintenant de le toucher ou non, elle pose sa main sur son bras et insiste un bon coup. Elle veut savoir ce que les autres ont dit même si ça l'effraie. Est-ce qu'il a entendu Léon cafter son secret à Raphaël ? La brune stresse vachement tout à coup.

— Dis-moi.

Mais pourquoi avoir posé cette question ? Elle se rassure tant bien que mal. Ça n'a pas de sens. Elle ne comprend pas où est le lien logique dans cette discussion. 

Louna sait qu'il va lui dire la vérité. Quand ils se taisent longuement, ils ne peuvent s'empêcher juste après d'être encore plus spontanés. C'est d'ailleurs pour ça que Lou réalise que les mots de Noé comptent pour elle, plus que n'importe qui. 

Souvent, ils lancent les sujets avant même de réfléchir dessus, veulent à tout prix parler sans s'arrêter. 

Elle lui sourit sincèrement, comme pour l'inviter à se confier. Allez.

Sur le point d'abandonner, Noé grimace et... crache le morceau :

— Bah... ton pote Raph' est sur toi, j'crois.