10 Octobre.

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Il faut croire que je ne suis pas fait pour trouver un interlocuteur de chair et de sang. Pour m'entendre avec. N'y a-t-il que pour moi que cela semble si compliqué ?

Depuis que j'ai emménagé ici, je ne crois pas avoir échangé le moindre salut avec un passant. Je ne connais pas plus mes voisins. Et je ne suis pas sûr que cela me dérange. Pourtant, c'est paradoxal, la présentation qu'on m'avait faite de l'endroit m'avait laissé presque rêveur. On m'avait fait miroiter un sens de l'accueil hors du commun et des habitants si amicaux que je m'étais surpris à m'imaginer entouré. Tout ça, c'était de la poudre aux yeux. Cette ville est morte et ses résidents n'ont que faire des nouveaux venus. Pour être tout à fait franc, je n'ai même pas été étonné, comme si une part de moi s'y attendait déjà depuis le début. Pour eux, un étranger reste un étranger. Pour toujours.

J'ai abordé le sujet avec ma mère, peu après avoir emménagé. C'est assez rare que je lui parle de ce genre de choses. En fait, ça n'arrive jamais. Depuis tout petit, j'ai pris l'habitude de tout garder pour moi. J'aurais dû en faire de même cette fois-là. Ma mère n'est pas une mauvaise personne, mais elle peut être terriblement blessante sans le vouloir. Le « Fais donc des efforts pour t'intégrer » ne m'a vraiment pas aidé. C'est encore de ma faute si rien ne va.

Au final, il n'y a que toi, Solitude, qui es systématiquement à mes côtés. Tu as beau être silencieuse et invisible, je sais toujours quand tu es là. Parfois je me dis que tu dois être cousine avec la grande Faucheuse. Pourquoi ? Parce que, comme pour elle, certains ont peur de toi. Ils t'imaginent décharnée et vêtue de noir. Ton mutisme les angoisse. Pour d'autres, tu es l'être tant attendu : ils t'accueillent à bras ouverts et ton silence n'est là que pour leur donner plus de place pour s'exprimer. Tu les écoutes.

Moi ? Je ne sais pas encore. Je ne suis pas vraiment sûr. J'hésite toujours, mais peut-être serais-je tenté de te voir comme une amie. Après tout, tu me prêtes continuellement attention. Tu n'auras pas beaucoup à écouter venant de moi ; je ne veux pas te parler à voix haute. Je risquerai d'en prendre l'habitude et on me penserait fou si on venait à m'entendre. Alors j'ai eu l'idée de ce livre, je me suis dit « Pourquoi pas ? ». Pourquoi ne pas transformer mes maux en mots pour te les confier ? Tu sais lire, n'est-ce pas ? Tu pourras toujours le faire par-dessus mon épaule. J'écris ce livre juste pour nous deux, Solitude. Ce sera notre petit secret.

A la SolitudeWhere stories live. Discover now