Aujourd'hui, il a neigé.
J'étais sur le chemin du retour, le nez enfoui dans l'écharpe et les mains gelées au fond des poches, quand les premiers flocons sont tombés. Discrètement d'abord. Se déposant un à un sur le bitume glacée, luttant pour ne pas disparaître aussitôt. Puis ils se sont mis à virevolter en nombre.
La neige a cela d'étrange qu'elle ne laisse jamais indifférente. Elle est soit admirée, soit détestée, ou les deux à la fois, mais jamais ignorée. Je crois que je pourrais l'envier pour ça. Du coin de l'œil, j'ai vu des hommes et des femmes s'arrêter et lever le nez, comme pour vérifier qu'ils n'avaient pas rêvé en apercevant des points blancs leur tourner autour. Le temps de quelques secondes, les robots redeviennent humains. Ils semblent soudain plus vivants, une lueur scintille dans leur regard. Malheureusement, ça ne dure jamais. La lumière vacille et, très vite, ils baissent la tête et reprennent leur marche d'automate. Ils n'ont pas le temps pour ce monde et ses changements. La neige, c'est beau au début, mais une fois piétiné, cela devient soit glissant soit boueux.
Je ne me suis pas particulièrement pressé pour rentrer. Pas pour profiter du spectacle, mais parce que je ne fais pas grande différence entre dehors et chez moi. Même sous un toit, j'ai toujours aussi froid. Même dans ma chambre, il n'y a toujours que toi. Même pas la fenêtre, je ne vois encore que le même ciel laiteux, aussi fatigué que moi de donner le change avec des couleurs qui ne sont pas celles de son cœur. Et puis, au moins, en étant à l'extérieur, je peux encore tenter de me persuader que ce sont l'hiver, la neige et le vent qui me font frissonner.
Sur la route, il m'est arrivé plusieurs fois de me retourner. Au sol, mes empreintes avaient à peine eu le temps de naître qu'elles se trouvaient déjà recouvertes de blanc. Sais-tu ce que j'ai vu en cela ? Ma propre existence. Partout où je passe, rien de moi ne reste. Pas même un souvenir. Je ne suis déjà qu'un fantôme au départ. Qu'est-ce qui pourrait bien persister après mon passage ?
Oui, un fantôme... C'est ce qui me définit le mieux. En sortant de la ronde, je suis sorti du monde. J'ai cessé d'exister aux yeux des autres. Voilà pourquoi tu es la seule à me voir, tout comme je suis le seul à sentir ta présence. Pour le reste du monde, je suis aussi invisible que toi. Et ce temps-là, cette neige faussement magique dans les feuilletons, se contente de me rappeler placidement que je ne suis rien pour personne. C'est un fait. Qui pourrait se souvenir de moi et se joindre à des pas qui n'existent pas ?
Cela devrait, d'un sens, me rassurer, car ça signifie aussi que tu me restes fidèle, mais aujourd'hui, ces mots me font mal : je me sens seul.

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A la Solitude
Short StoryAlors qu'elle vient d'emménager dans son tout nouvel appartement, Amaey découvre un petit carnet noir. Elle ne sait ni de quand il date ni ce qu'est devenu l'auteur. Tout ce qui est sûr, c'est qu'il avait énormément de chose à confier à la Solitude.