1er Mai.

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C'est aujourd'hui qu'elle doit rentrer. Aujourd'hui qu'elle doit m'arracher à ton infernale présence. C'est ce que je me répète en boucle depuis que mes yeux se sont ouverts.

Les heures s'égrainent lentement et je ne peux m'empêcher de tendre l'oreille. J'attends, à l'affût. J'attends le chant de la délivrance : une voiture qui se gare, un moteur qui se coupe, le cliquetis d'une clef dans la serrure, le son de sa voix. « Thomas, tu es là ? » dira-t-elle. « Je suis rentrée. » Pour le moment, seul le bruit de la trotteuse se fait entendre.

Chaque minute qui passe me rend un peu plus impatient et m'angoisse. Je sens une tension crisper mes épaules. J'ai tout bonnement peur qu'elle m'ait oublié ou qu'elle prolonge son absence de plusieurs jours. Pour toujours peut-être. Je suis terrifié à l'idée qu'elle me laisse jusqu'à la fin avec toi. Pourquoi est-elle si lente à revenir ? Qu'est-ce qui lui prend autant de temps ?

Je me sens fébrile. J'ai froid. À bien y réfléchir, pas simplement froid. Je suis ankylosé par tant d'heures sans bouger ou si peu. Mes articulations en sont presque douloureuses. Chaque fois que je les plie et déplie, j'ai la sensation qu'elles grincent et couinent, à la façon d'un vieux jouet dont le plastique serait cuit par les années.

Mes yeux ne vont pas mieux. Ils tirent la sonnette d'alarme sur l'état de fatigue de mon corps. Lorsque je les lève vers un point, la fenêtre ou ma montre, ma vue tremble un instant avant de s'y fixer. C'est comme si j'avais du mal à m'ancrer à la réalité qui m'entoure. Et c'est vrai : je me sens un peu ailleurs. Il ne reste que peu de choses que je ressente réellement, peu de choses auxquelles je me rattache et qui m'empêchent de perdre totalement pied. Je peux les compter sur les doigts d'une main :

— Le mur contre mon dos ;

— Le papier de mon carnet qui bruisse doucement sous mes doigts ;

— Le poids de mon stylo et son léger bruit significatif quand il vient gratter les pages de sa pointe ;

— Ta cape qui pend lourdement sur mes épaules.


Je crois que c'est elle qui m'engourdit. Elle me pèse. J'ai l'impression d'être prisonnier d'un filet, d'y être empêtré sans possibilité de m'en défaire par moi-même.

Je suis fatigué. Épuisé serait plus juste. Il me suffirait de faire quelques pas pour rejoindre mon lit, m'y écrouler et m'endormir, mais je ne peux pas. Il faut que je tienne encore un peu. Je veux être éveillé lorsqu'elle rentrera. Je veux voir ton visage se décomposer quand tu constateras que tu as perdu. On va t'enlever ton jouet. Tu devras observer, impuissante, la façon dont je vais t'abandonner, te délaisser dès que l'occasion se présentera.

J'en ai assez de toi, je n'en peux plus. J'ai eu beau te le répéter ces derniers temps, tu es encore là. Il est temps que tu comprennes ce que ça fait de n'avoir pour unique interlocuteur qu'un être qui n'est fait ni de chair ni de sang, qui n'est pas plus palpable que visible, qu'on ne peut ni entendre ni voir bouger. Tu seras face à toi-même. Il est grand temps que tu comprennes à quel point tu es détestable et indésirée sous ce toit.

A la SolitudeWhere stories live. Discover now