15 Mai.

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Ce matin est plus dur que les précédents. Tu n'es plus à mes côtés mais en moi. Agrippée à chaque fibre de mon corps, m'usant à petit feu comme le ferait une maladie incurable. Le reflet que m'offre le miroir a quelque chose d'alarmant. Même moi je m'en rends compte.

Je me reconnais à peine. J'ai l'air d'un cadavre. Pâle, amaigri, vide. Impossible de cacher les cernes sous mes yeux ; tu as encore fait fuir Morphée la nuit dernière. Leurs nuances de violet jurent sur ma peau blafarde. J'ai beau me répéter que je vais bien, je n'y crois plus moi-même. Dans de telles conditions, comment veux-tu que j'empêche mes larmes de couler ? Comment veux-tu que je continue à faire bonne figure ?

Je ne sais même pas pourquoi je te dis ça, pourquoi je continue de te parler. Autrefois, je t'aurais bêtement imaginé prête à me venir en aide, à me consoler. Aujourd'hui, le doute n'est plus permis. C'est toi, et toi seul, qui provoques tout ça. C'est à cause de toi si ma vie roule de travers. Et tu prends un malin plaisir à me regarder m'enfoncer. Je t'entends ricaner sous ta cape. Je suis persuadé que même ton regard, trou béant de noir, est devenu moqueur.

Au final, j'aurais dû m'en rendre compte. Tu n'es ni la cousine ni même le bras droit de la grande faucheuse. Elle et toi ne faites qu'une. Tu repères tes proies et te lies à elle. Avec le temps, tu es devenue experte : tu sais lesquelles tomberont dans tes filets, lesquelles croiront voir ton vrai visage quand tu ne montreras qu'un masque de fausse bonté. Tu sais lesquelles n'y verront que du feu. Tu as su que ta poudre aux yeux fonctionnerait avec moi. Il t'a suffi d'être patiente. Et maintenant, tu as lancé la bataille finale. Inutile pour toi de jouer un rôle plus longtemps puisque je t'ai découverte. Tu attends avidement que je passe de l'autre côté pour m'attraper du bout de tes longs doigts d'araignée. Tu attends de pouvoir me balancer en travers de ton épaule, avec tes autres trophées du jour, et de me porter jusque ton coffre à trésor morbide. Tu sens l'instant proche, je le sais. Alors pour être sûr d'y assister, tu restes là, affichant ton sourire d'ange carnassier.

Cette pensée me glace le sang, mais elle se heurte à un autre sentiment. La colère. Je suis en colère. Contre toi. Contre moi. Je t'ai laissé envahir ma vie et mener ta course comme bon te semblait. Et ce n'est que maintenant, alors que l'arrivée est en vue, que je me dis que je ne peux pas te laisser gagner. Je ne veux pas. Tant que tu ne feras pas échec et mat, je ne me coucherai pas. Depuis le début, tu es trop sûre de toi ; je saurai te prouver que tu as oublié un bout de vie en moi. Ta gangrène ne me rongera pas davantage. L'un de nous deux doit disparaître.

A la SolitudeWhere stories live. Discover now