29 Avril.

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Je ne suis plus vraiment sûr d'avoir dormi les deux dernières nuits. Je n'ai pas fait attention aux heures et j'ai cessé depuis longtemps de compter les tic tacs de la trotteuse. Peut-être me suis-je assoupi une ou deux heures, mais dans ce cas, c'était un sommeil sans rêves.

Je suis resté assis au sol, tout prêt de la latte flottante sous laquelle je cache mon carnet. Je n'ai même plus la force d'errer dans l'appartement. Cette nuit, dos contre le mur, j'ai observé longuement les ombres projetées par les réverbères dans la pièce. Tantôt rachitiques et recroquevillées sur elles-mêmes, tantôt denses et envahissantes, elles se balançaient au rythme lancinant du vent à l'extérieur. J'avais parfois la sensation qu'elles s'allongeaient, se gonflaient, tentant de m'attraper et de s'immiscer en moi. Puis tout s'est éteint.

Quelques secondes, ou peut-être une éternité, j'ai retenu mon souffle. L'angoissante obscurité venait de s'imposer en reine et j'étais là, immobile, en son sein. Et toi, dressée de toute ta hauteur, tu ricanais en m'observant. « Ce ne sont que les réverbères qui se sont éteints. » C'est sans doute ce que tu te contenterais de me dire, d'un ton moqueur, si tu étais douée de parole. Je le sais bien, moi aussi, que c'est la ville qui s'éteint, obsédée par ses économies d'énergie, mais cela ne change rien. Absolument rien. Sais-tu à quel point l'obscurité peut être oppressante quand elle s'abat d'un seul coup ? Comme le temps s'allonge et le souffle se raccourcit, le temps que l'œil s'habitue ? Dans le noir, nous sommes perdus au milieu de nulle part. Sans repères, sans accroches. L'instinct de survie prend le dessus ; les yeux s'écarquillent sans rien discerner, les oreilles s'ouvrent sans rien entendre d'autre que le sang qui bat férocement à nos tempes. Est-ce que tu peux ressentir ça, toi qui n'es même pas palpable ?

Lorsque le vide s'est enfin estompé, que ma vue est parvenue à le déchirer, mon attention s'est doucement portée sur l'infime portion de ciel visible de ma fenêtre. Les étoiles étaient là, impassibles, cachant comme toujours leur irrésistible joie d'être enfin visibles et regardées. Je t'ai déjà raconté, par le passé, ce que je pensais d'elles. Mon avis n'a pas changé. À les voir dans le ciel, inaccessibles et indifférentes, je me suis senti plus seul que jamais. Leurs éclats me blessent. Pourtant je n'ai pas bougé de ma place ; je ne me suis pas levé pour tirer les rideaux. Je suis resté là et j'ai continué de les fixer, les yeux brûlants de fatigue, jusqu'à ce qu'elles disparaissent une à une, que le ciel rougisse et que la nuit cède sa place au jour. Et là encore, je n'ai pas bougé.

A la SolitudeWhere stories live. Discover now