Tu deviens pesante.
Aujourd'hui, je me suis forcé à sortir. C'était difficile, vraiment. Tant qu'on n'y est pas confronté, on ne s'imagine pas à quel point cela peut être compliqué. J'ai pris sur moi. Je me suis préparé, la mâchoire serrée par l'angoisse, et ai ouvert la porte sur cet extérieur qui m'est de plus en plus inconnu et inhospitalier. Je ne suis pas parvenu à me réaffubler d'un faux sourire. Ça, je ne suis plus capable de le faire. Au final, cette journée a été psychologiquement éprouvante.
J'aurais voulu ne pas te trouver en rentrant, mais tu étais là, comme à ton habitude, patientant jusqu'au moment où je me sentirai seul. Et tu savais que cela arriverait plus vite qu'à l'accoutumée. Tu le savais et tu en jubilais. Tu ne m'attendais pas dans ma chambre, mais sur le pas de la porte d'entrée. Je ne l'avais pas encore ouverte que je pouvais presque voir ton ombre envahir l'encadrement. Il est facile de comprendre pourquoi tu te tenais là aujourd'hui, à cet endroit même où nous sommes censés quitter l'inquiétant inconnu pour un cocon familier et rassurant. C'est un passage symbolique auquel je ne crois plus depuis longtemps, bien sûr, mais je suis sûr qu'il a toujours toute son importance pour toi. Et tu as encore gagné, puisqu'en me faisant directement sombrer sous ton joug, je n'ai pu détourner mes pensées de toi. Au point où j'en suis, autant te parler.
Ma mère a dû s'absenter pour quelques jours ; ça, tu le sais déjà, puisque c'est pour cela que tu étais si impatiente de me voir revenir. Elle m'a envoyé un message dans l'après-midi pour me prévenir que je ne la reverrai que ce week-end. Elle a refusé de m'en expliquer les raisons : je ne connais ni le où ni le pourquoi. Elle a simplement laissé entendre qu'elle avait des obligations qu'elle ne pouvait plus repousser.
Le réfrigérateur a été rempli par ses soins, avant son départ. Elle a même pris le temps d'imprimer une liste de recettes simples, au cas où je ne saurais pas quoi faire, qu'elle a posé sur la table de la salle. Comme si j'avais besoin de ses conseils... À son tour, elle m'abandonne.
J'aurais presque l'impression que c'est toi qui l'as forcé à partir, par je ne sais quel moyen obscur. Tu la trouvais trop envahissante, n'est-ce pas ? Elle était une barrière entre toi et moi, un obstacle qui t'empêchait de me posséder totalement. Parce qu'elle venait me parler régulièrement et qu'alors mon expression devait paraître un peu trop vivante à ton goût. La vie te répugne-t-elle à ce point ?
Te souviens-tu du jour où je t'ai écrit que je voyais en toi des points communs avec la Faucheuse ? À bien y réfléchir, je me demande si tu n'es pas davantage son bras droit que sa cousine. Aujourd'hui, je te hais Solitude. Je n'ai peut-être que toi à qui parler, mais si tu penses me rendre fou en m'isolant, sache que tu te trompes.

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A la Solitude
Short StoryAlors qu'elle vient d'emménager dans son tout nouvel appartement, Amaey découvre un petit carnet noir. Elle ne sait ni de quand il date ni ce qu'est devenu l'auteur. Tout ce qui est sûr, c'est qu'il avait énormément de chose à confier à la Solitude.