Bonne et heureuse année, Solitude.
Quelle ironie dans cette phrase ! Quel mensonge ! Les choses ne changent pas juste parce qu'on le souhaite. Ce serait bien trop facile. Cette nouvelle année n'est que la suite de celle qui s'achève.
Comme tu as pu t'en rendre compte, la Saint-Sylvestre a été calme. Rien que ma mère et moi, autour de la table, et toi, dans un coin. Elle n'a eu de cesse de déplorer l'absence des oncles, des tantes, de leurs enfants, des grands-parents... sans jamais souligner que moi, au moins, j'étais là.
Je ne te parle pas beaucoup de ma mère, mais à force d'être sous notre toit, tu dois avoir compris ce qu'il en est. Elle est très tournée famille, bien plus que moi, c'est indéniable. Toujours à prendre des nouvelles des uns et des autres. Sauf de moi. Nous vivons ensemble, je suis la chair de sa chair, alors elle pense tout savoir de son fils. Ou peut-être... Peut-être s'en moque-t-elle simplement. Peut-être même lui arrive-t-il d'oublier que j'existe.
Pour en revenir à cette soirée, c'est la première fois que nous la passions seuls. Elle aurait voulu les revoir. Elle n'avait déjà pas pu pour Noël et les cadeaux avaient été envoyés par colis. Nettement moins magique que le traditionnel déballage au pied du sapin, tous ensemble. Ça la rend maussade, sans doute parce qu'elle aime être entourée. Elle vient d'une grande fratrie : trois frères, une sœur. Tous ont eu entre deux et quatre enfants. Tout un monde grouillant et braillant qui permettait aussi de pallier le goût de trop peu que devait lui apporter son unique fils. Maintenant que nous avons déménagé, le temps de route est devenu bien trop conséquent, bien trop fatigant. C'est ce qu'elle m'a répété plusieurs fois ces derniers mois. Aucun de nous deux n'aime les longs trajets. Et l'appartement est bien trop petit pour accueillir qui que ce soit.
Elle a tout de même tenu à sauver les apparences. Je l'ai donc aidée à préparer son menu des fêtes : quelques toasts, une bouchée à la reine pour chacun, un gigot un peu trop cuit qui nous durera plusieurs jours, des haricots verts en fagots et une bûche glacée individuelle. Café pour elle, vanille pour moi. À minuit, elle m'a collé un baiser sur le front puis est partie se coucher.
Nous voilà de nouveau en tête à tête, toi et moi. Et il faut que je t'avoue quelque chose : je n'ai jamais aimé les fêtes de fin d'année. En particulier le Nouvel An. Quand j'étais enfant, il y avait toujours quelque chose qui se passait mal ou qui me contrariait, me blessait. J'ai cessé depuis longtemps de compter les fois où je me suis réfugié dans la salle de bain pour pleurer. Forcément, avec le temps, j'ai appris à appréhender cette période qui rend mon cœur lourd. C'est d'autant plus vrai depuis la disparition de mon père. Depuis cet instant, il m'a toujours manqué sa présence. Les gens se rassemblent et font la fête, tandis que je me sens seul et dépassé par le temps qui passe. Je ne comprends pas l'utilité de célébrer un jour de plus sur le calendrier.
Je n'en peux plus de cette envie de pleurer, de cette boule coincée dans ma gorge, de ce nœud à l'estomac. J'esquisse des sourires pour faire illusion, pour prétendre que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais qui puis-je donc tromper de cette façon ? Tout est faux. Et ce n'est pas seulement à cause des fêtes. J'ai littéralement les nerfs à vif. Je n'avais pas remarqué l'égratignure que je m'étais faite, le jour où je suis sorti du rang. Aujourd'hui, c'est une blessure béante. Un rien fait rougir mes yeux et me comprime les poumons. Même les bonnes nouvelles. C'est absurde. C'est comme si je ne pouvais rien ressentir d'autre que du mal-être. Toutes sensations passent par un filtre et se transforment en détresse. Je ne sais combien de temps encore je pourrai supporter cet état, combien de temps je réussirai à donner le change, à maintenir cette illusion à laquelle je ne crois pas moi-même. Ça fait trop longtemps que je me retiens.
Je t'en supplie, Solitude, à nouveau, couvre-moi de ta cape et ôte-moi toutes émotions. Le vide est le seul remède.

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A la Solitude
Short StoryAlors qu'elle vient d'emménager dans son tout nouvel appartement, Amaey découvre un petit carnet noir. Elle ne sait ni de quand il date ni ce qu'est devenu l'auteur. Tout ce qui est sûr, c'est qu'il avait énormément de chose à confier à la Solitude.