La page suivante était vierge. Le reste également. Amaey releva la tête et porta son regard par la fenêtre. Le soleil avait passé son point culminant depuis longtemps.
Elle se releva et posa l'ouvrage refermé sur une étagère. Elle secoua vivement la tête, comme pour se défaire de l'état d'hébétude qui l'avait envahi. Il fallait passer à autre chose. Elle se détourna, remis la lame de parquet en place et entreprit d'achever l'aménagement de la pièce. Pourtant, pendant tout le temps où elle s'affaira, son esprit restait occupé par le petit carnet noir et son auteur. Du coin de l'œil, elle voyait l'ouvrage trôner tristement sur une étagère qu'elle n'avait plus approché. Une aura étrange l'entourait. L'arrêt brutal du journal, alors même que ce Thomas ne voyait plus que des côtés négatifs à la solitude, l'interpellait particulièrement. Qu'était-il advenu de lui ? Où était-il aujourd'hui ? Pourquoi avait-il cessé d'écrire du jour au lendemain ?
La nuit qui suivit, Amaey eut du mal à trouver le sommeil. Elle tourna longtemps sous ses draps. Chaque fois que son esprit commençait à vagabonder, c'était pour revenir à ce carnet noir. Et même lorsqu'elle fut enfin endormie, le livre de la quitta pas. Il ne cessa d'apparaître au gré de son sommeil agité, comme un appel. Ses rêves furent peuplés d'ombres étranges, de masses obscures qu'un homme devenu vieux ne cessait de vouloir fuir. Elle le voyait fuir désespérément dans un couloir sans fin. Cela la troubla tant et si bien qu'elle se réveilla bien avant que le jour ne soit levé. Elle jeta un œil à son réveil et soupira. Si elle avait su qu'un simple journal intime la mettrait dans un tel état... Elle tendit le bras pour allumer sa lampe de chevet puis se plaça sur le dos et fixa le plafond de sa chambre.
Elle en vint à se remémorer les moments de sa vie où elle avait elle-même connu la solitude. Sa vision était toute différente de celle du jeune homme. Elle avait toujours su faire la part des choses, profiter de ces instants sans pour autant s'enfermer dedans. Et il fallait bien dire qu'en dehors de ces instants, elle était tout de même plutôt bien entouré. Ça semblait avoir été tout différent pour Thomas. Il s'était lui-même enfermé en dehors du monde et avait jeté la clef.
Les heures passants, les premiers rayons du soleil commencèrent à percer à travers les rideaux. Et plus l'ombre cédait sa place à la lumière, plus Amaey se répétait qu'elle aurait aimer raconter sa version de la solitude à l'homme. Elle aurait aimer lui montrer que tout n'était pas toujours tout noir. Peut-être que si quelqu'un l'avait fait à l'époque, il aurait mieux vécu ce passage de son existence. Peut-être qu'aujourd'hui, si ce n'était pas encore le cas, ça l'aiderait à relativiser. Oui, elle aurait vraiment aimer l'aider. Et après tout... Qu'est-ce qui l'en empêchait ?
Elle repoussa ses draps, bondit hors de son lit et se dirigea vers son bureau à grands pas. Seul sur son étagère, le carnet semblait l'attendre. Elle le saisit, s'installa devant son espace de travail et attrapa son stylo fétiche. Elle fit virevolter les pages jusqu'à revenir à la première d'entre elles qui restait vierge. Elle tira le bouchon de son stylo, approcha la mine du papier, réfléchit un instant puis écrivit en grosses lettres rondes « À Thomas, pour que tu te souviennes qu'il y a toujours de bons côtés ». Tout comme il l'avait fait avant elle, elle ajouta son nom au bas de la page puis la tourna. Là, elle commença à inscrire sur le papier fin ce qui lui passait par la tête, comme si elle s'adressait directement à l'homme esseulé. Elle lui parla de ce que lui inspirait un instant de solitude, des expériences qu'elle avait vécu, de ce que ça avait pu lui apporter... Elle le visualisait, des années plus tard, ses cheveux et sa barbe blanchis, son visage marqué par le passage du temps. Elle noircit des pages et des pages jusqu'à en avoir mal à la main puis apposa son point final.
Au fond d'elle, elle se dit que si la solitude était une réelle entité, elle devait la remercier de prouver qu'elle n'était pas le monstre qu'avait décrit Thomas.

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A la Solitude
Short StoryAlors qu'elle vient d'emménager dans son tout nouvel appartement, Amaey découvre un petit carnet noir. Elle ne sait ni de quand il date ni ce qu'est devenu l'auteur. Tout ce qui est sûr, c'est qu'il avait énormément de chose à confier à la Solitude.