Ça fait une éternité que je ne t'ai pas écrit. Ça ne signifie pas que je t'ai oublié ou que j'ai passé du bon temps sans toi. Tu le sais, j'en suis certain. J'avais parfaitement conscience que tu étais là, assise à mes côtés tout ce temps, me couvrant de ton ombre. Je n'ai rien dit. Pour une fois, j'étais aussi muet que toi. La léthargie était plus forte. Elle a enchaîné le besoin d'écrire, mais il était toujours là lui aussi.
J'ai senti ton regard irrémédiablement posé sur moi tout au long de ces semaines. Tu n'as pas été la seule à m'observer. Ma mère aussi s'est adonnée à ce petit jeu, mais quand ce n'est pas toi, j'ai l'impression d'être jugé ou d'être une bête de foire. Toi, tu patientes simplement.
Le printemps est maintenant bien installé. Je n'avais plus vraiment d'espoir, mais j'ai tout de même été meurtri de constater que ça n'a rien changé à mon état. Il y a toujours ce vide. Cette sensation de n'être rien et de subir les assauts du temps.
Hier encore, ma mère est venue me demander comment je me portais. Cela l'intéresse-t-il vraiment ? Elle est restée sur le pas de la porte, penchée par l'embrasure, comme si s'approcher davantage c'était prendre le risque de s'exposer à une maladie infectieuse. Cette fois, je ne sais par quel miracle, j'ai eu la force de lever les yeux. J'ai croisé les siens, fixés sur moi. Aussitôt, le regret d'avoir quitté le parquet du regard m'a étreint. Sais-tu ce que j'ai lu au fond d'elle ? Sais-tu ce que j'ai vu ? Elle me prend pour un fou. J'ai parfaitement saisi ce qu'elle pense. Elle se dit que ce n'est pas normal que je reste dans mon coin et que je fasse ma vie sans parler à personne. Elle est persuadée que ne plus sortir et se couper du monde est la preuve que je suis bon à enfermer ailleurs. Elle ne me comprend pas. Et bien sûr, elle ignore tout de ta présence. Je crois que c'est mieux ainsi. Dans le cas contraire, il ne lui en aurait pas fallu davantage pour me faire interner.
Ces derniers jours, j'ai eu le temps de réfléchir. Au monde, à moi, mais surtout à toi. Il m'est venu à l'esprit que tu mettais volontairement une barrière entre le monde et moi. Comme si ton unique désir était de me garder pour toi. Sans répit. Je sais bien que, même sans ton fait, personne n'a envie de s'encombrer d'un fantôme et que ma présence gênerait plus qu'autre chose. Pourtant l'idée que c'est de ta faute si ma vie est comme elle est s'impose à moi. Tu es ma seule amie parce que, par ta simple présence, tu m'empêches d'en avoir d'autres. Je sais que si tu pouvais parler, tu te serais déjà écriée que je suis en plein délire. Tu ne peux m'entraver et m'interdire de faire quoi que ce soit. Tu ne pourrais me retenir de faire signe à quelqu'un ou de me confier à un autre que toi. Tout est de ma faute ; c'est moi qui suis un incapable.
Et pourtant, tu ne m'ôteras plus de l'esprit que tu n'es pas étrangère à tout cela. Tout comme moi, j'ai la sensation que tu ne veux pas être seule. N'est-ce pas ironique venant de la Solitude elle-même ? Le fait est que pour t'assurer de ma présence, tu ne te contentes pas de m'écouter. Tu m'englobes littéralement.
J'en suis venu à me demander si une personne qui nous coupe de tout est une amie ou une ennemie. C'est une chose qu'il me faut à présent garder en mémoire, car le prix à payer pour ta compagnie est bien plus difficile à supporter que je ne l'avais imaginée.
De là, j'ai inscrit un titre sur ma page de garde. Je l'avais laissé vierge jusqu'ici, sans raison véritable. Je ne cherchais pas à la remplir, mais c'est maintenant chose faite.

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A la Solitude
Short StoryAlors qu'elle vient d'emménager dans son tout nouvel appartement, Amaey découvre un petit carnet noir. Elle ne sait ni de quand il date ni ce qu'est devenu l'auteur. Tout ce qui est sûr, c'est qu'il avait énormément de chose à confier à la Solitude.