Chapitre 4

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- Comment tu t'appelles ? demande Dinah.

- T'as quel âge ? ajoute Léa, encore une fois assise en tailleur sur un lit. T'as l'air plus vieux que Lauren.

Le nouveau venu nous fait l'effet d'un agent infiltré dans le calme du dortoir 4. Il a le teint pâle, mais les yeux et les cheveux d'un noir de jais, et sa bouche est si crispée que ses mâchoires semblent encore plus carrées qu'elles ne le sont en réalité. Des vêtements sont étendus sur son lit : des jeans, des tee-shirts, des sweat-shirts à capuche. Tous de la bonne taille. Chacun est mesuré et pesé à son arrivée au manoir. Les infirmières ont été très occupées aujourd'hui.

- Je m'appelle Shawn, marmonne le nouveau garçon, et j'ai dix-sept ans. (Il s'interrompt et le noir de ses yeux s'intensifie.) Et demi.

- Et merde ! s'exclame Dinah.

Un silence s'ensuit, ponctué par les battements de la pluie à l'extérieur. Nous absorbons ses paroles. Je comprends mieux à présent l'amertume du garçon, et je sens mon estomac se nouer. S'il avait eu dix-huit ans, il serait avec ses parents. Aucun de nous n'a eu de chance, mais la déveine de Shawn nous fiche un sacré coup dans le ventre.

- Parle-nous des autres, demande Ally.

Elle est appuyée contre le radiateur, soucieuse de ne pas froisser son lit en s'asseyant dessus.

- Il ne me restait plus que six mois.

Shawn parle sans les regarder, il scrute les habits sur le lit, des vêtements inconnus qui lui appartiennent désormais.

- Six foutus mois à tenir ! ajoute-t-il.

- Parfois le pire arrive.

C'est la première fois que je prends la parole depuis l'arrivée de Shawn. Je ne l'aime pas. Je ne le connais pas, mais je ne l'aime pas. Et si sa présence semait la pagaille dans notre bande ? Ma peur est irrationnelle, mais bien réelle. Le dortoir 4 n'est plus ce qu'il était encore ce matin. Je ne comprenais pas pourquoi, il l'avait affecté dans notre chambre, alors que notre dortoir est totalement féminin. Shawn représente une fêlure sur un roc.

- Oui, parle-nous des autres, reprend Dinah.

- Vous savez comment on surnomme cet endroit, n'est-ce pas ? demande alors le nouveau venu en tournant enfin les yeux vers nous. La maison des morts.

- Mais qu'est-ce qu'on en a à foutre de comment on l'appelle ? dis-je. C'est notre maison, maintenant.

Je suis légèrement hérissée. Nous avons tous appris à gérer nos peurs, à vivre avec. Maintenant, il faut aussi s'occuper de celles de Shawn.

- C'est comme ça qu'on la désigne à Paris, insiste Shawn. Pas que celle-ci, mais toutes les autres.

- Donc, tu viens de Paris, c'est ça ?

Les yeux de Dinah se mettent à briller et elle sort de sa poche un petit carnet dans lequel elle s'empresse de noter l'information.

- De quel arrondissement ? insiste-t-elle.

- Comme si c'était important ! lui répond sèchement Shawn.

- Et les autres ?

Léa est la troisième à poser la question. Nous ne sommes pas cruelles de manière intentionnelle, mais à quoi bon faire preuve de sympathie ? La compassion s'adresse à des personnes qui se trouvent dans une situation pire que la vôtre ; or, en l'occurrence, nous sommes tous dans la même galère. A égalité. Et au moins, Shawn a atteint dix-sept ans et demi.

Les confinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant