Chapitre 17

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- Désolée, je me suis endormie, murmure Camila quand nous nous retrouvons au petit déjeuner. Je n'ai pas pu m'en empêcher.

- Pas de problème, moi aussi, j'ai dormi.

Je m'efforce de paraître normale, mais tout me semble différent, aujourd'hui : plus lumineux et plus aigu. Hyper réel. Je ne veux rien raconter aux autres au sujet de l'infirmière, et surtout pas à Camila. Car l'infirmière est liée au deuxième prélèvement, et ça, je ne peux pas en parler non plus. J'aime Camila et pourtant, je possède désormais deux secrets que je ne peux pas partager avec elle. Est-ce que nous possédons tous des secrets que nous garderons toujours pour nous tous seuls ?

Matrone n'est pas au buffet ce matin ; il n'y a que deux infirmières qui arborent une expression des plus neutres, même si leur responsable a dû les informer de ce qui s'était produit. Je prends machinalement des œufs et du bacon, alors que je n'en ai pas envie, et je reviens à ma table. Par chance, tous ceux de notre dortoir semble vaseux, eux aussi.

- J'ai mal à la tête, dit Léa.

Elle est toute pâle et a le regard morne.

- En fait, j'ai mal partout, ajoute-t-elle.

Shawn ricane.

- T'as la gueule de bois, lance-t-il.

- Si c'est ce que les gens sentent après qu'ils ont bu, je ne comprends pas pourquoi ils le font, maugrée Léa.

Dinah n'émet aucun commentaire, mais elle me jette des coups d'œil nerveux. Je ne la regarde pas. Je ne veux pas perdre de temps avec sa paranoïa. Léa a la gueule de bois, un point c'est tout. En revanche, Matrone a assassiné notre infirmière dans la nuit. Je me repasse cette phrase en boucle, mais elle me paraît toujours aussi irréelle. Plus rien ne me paraît certain. J'ai l'impression que les murs épais du manoir sont en train de se refermer sur moi et vont bientôt me faire suffoquer.

- Il y a encore de la neige, constate Léa. On pourra finir notre bonhomme de neige. N'est-ce pas, Dinah ?

Cette dernière acquiesce d'un hochement de tête.

- Est-ce que vous êtes allés à la chapelle ?

Ally est debout devant nous, et ses mots semblent se bousculer pour sortir de sa bouche, comme si elle les avait longtemps retenus. Nous nous regardons, étonnés. Ally dort toujours dans notre dortoir, mais nous ne lui adressons plus la parole.

- Pourquoi ? demande Shawn.

C'est lui qui fait la conversation, ce matin, ce qui est probablement une bonne chose : quand Camila et moi seront parties, il deviendra le chef du dortoir 4.

- Vous y êtes allés ? insiste Ally.

- Non, dis-je. Pourquoi est-ce qu'on irait dans ta fichue chapelle ?

Je vois clairement toutes les affiches dans ma tête, et à présent mon imagination en rajoute une autre, une sans nom avec comme épitaphe : « Elle était bonne, alors Matrone l'a tué. »

- Des choses ont été vandalisées.

Elle est sur la défensive, mais également maladroite. On dirait une femme âgée. Matrone pourrait très bien s'exprimer ainsi. « Un placard dans la salle de jeux a été vandalisé. » Décidément, elle m'obsède.

- Ce n'est pas nous, se défend Dinah. On n'est pas montés là-haut.

Je sens le regard de Camila fixé sur moi. Il s'agit des bougies. Elle s'est rendue compte que quelqu'un les a utilisées. Nous devrons être plus prudentes, à l'avenir. J'ai l'impression d'un piège qui se resserre. Il faut que je m'introduise le plus vite possible dans le bureau de Matrone pour savoir quand le bateau reviendra, et en même temps, l'idée me terrifie. Et s'il y avait une alarme ? Et puis, qui sait ? Elle dort peut-être dans cette pièce... Je m'imagine ouvrir la porte et la trouver derrière son bureau, attendant le jour, parfaitement immobile, une grande seringue à la main. Je me la représente en train de me sourire, découvrant une rangée de dents pointues et abîmées, puis elle bâille très fort et je suis engloutie par une obscurité sans fin...

Les confinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant