Chapitre 12

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- Je me rappelle pas qu'il ait fait un jour si froid, dit Eleanor.

Elle a le nez pressé contre la fenêtre de la salle de jeux. A l'extérieur, la pluie tombe en un lourd rideau épais, évoquant davantage des piques de glace qui tambourinent le sol que de l'eau. Aujourd'hui, c'est jour de lessive, et nous avons consciencieusement changé nos draps, celui du dessus est devenu celui de dessous et ce dernier a été placé dans le sac à linge sale, ainsi que les taies d'oreiller, et à présent, l'après-midi s'étire comme une vaste plaine devant nous. Léa est assise dans un vieux fauteuil près du radiateur, concentré sur son livre, tandis que Dinah apprend à Camila comment jouer aux échecs. Je m'ennuie déjà. Dès que je suis assise en face d'elle, comme c'est présentement le cas, elle m'obsède. Je suis vraiment pathétique.

- Et vous ? insiste Eleanor.

Elle regarde autour d'elle et nous secouons tous la tête. Le temps est définitivement curieux, mais je ne me suis jamais sentie aussi à l'ouest, si tant est que je sais ce qu'est la normalité !

- Putain, ce qu'ils peuvent dater ! s'exclame Shawn.

Il est en train d'inspecter les disques, essayant d'en trouver un qu'il connaît pour le passer. J'ai envie de lui dire que quelques-uns sont très bons, mais je n'en fais rien. Danser ici dans le noir, c'est un secret. Au départ, c'était celui de Camila, et maintenant, nous le partageons, elle et moi. Nous avons dansé ensemble, la nuit dernière. Et je ne me suis même pas sentie con quand elle m'a demandé de fermer les yeux et de me laisser aller. Sans doute en avais-je l'air, mais je ne me voyais pas comme tel. De toute façon, qui s'en soucie ? Ce qu'on éprouve a bien plus d'importance que l'image qu'on renvoie. C'est ce que prétend Camila. Mais il faut reconnaître qu'elle est vraiment belle.

- Tu t'attendais à quoi ? dis-je à Shawn. Tu avais déjà vu un tourne-disque avant de venir ici ?

- C'est ton tour, Lauren, m'annonce Dinah.

Et je me rends compte que je n'ai même pas vu Camila avancer son pion.

La porte s'ouvre soudain, et Ty entre d'un pas assuré dans la pièce, flanqué d'Albi et de Daniel. Sans en avoir l'air, il cherche Camila des yeux. Inutile de se demander où se trouve Joe, car sa loyauté est acquise à Ally et à sa chapelle, maintenant. Chaque jour, de plus en plus d'enfants passent leur temps là-haut, mais nous n'interrogeons jamais Ally à ce sujet : pourquoi lui donner l'occasion de jouer les importantes ? Alors qu'avant nous étions divisés en dortoirs, plus ça va et plus la ligne de partage s'établit désormais entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas. Cela révolte carrément Shawn, mais pour ma part, j'essaie de laisser l'affaire glisser sur moi sans qu'elle m'atteigne. Les jours ne comptent plus vraiment, même si j'ai cessé de dormir l'après-midi. Je trouve de quoi m'occuper plus facilement, à présent. Le temps semble passer plus vite. Je me rappelle l'époque où je tentais de le ralentir en m'ennuyant autant que possible. Aujourd'hui, tout est bouleversé.

- Vous voulez faire quelque chose, les gars ? lance Ty. Traîner dans la salle de musique, par exemple ?

En réalité, cette demande s'adresse uniquement à Camila. Il se fiche pas mal du reste d'entre nous.

- Il n'y a pas assez de place pour nous tous, là-bas, répond-elle à voix basse sans le regarder.

- On pourrait jouer à cache-cache ? propose Eleanor, pleine d'espoir.

Daniel ricane comme si c'était la suggestion la plus stupide qu'il n'ait jamais entendue. Son visage rond ressemble à une misérable lune. Il n'y a pas pire brute qu'une personne qui aspire à l'être.

Les confinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant