Chapitre 19

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A notre réveil, nous constatons que le lit de Léa a été enlevé. J'essaie d'arborer le même air choqué que les autres, mais j'étais éveillée, yeux fermés, tentant de maîtriser ma respiration alors que mon cœur battait comme un fou, quand les infirmières sont venues chercher ses affaires pour les emporter dans l'ascenseur. Elles m'ont alors semblé affolées et surprises, murmurant entre elles. C'était une petite victoire bien amère. Je me demande laquelle a regardé en premier par la fenêtre et a découvert Léa, assise contre le tronc. En réalité, j'espère que c'est Matrone. Elles n'avaient plus beaucoup de temps pour agir, mais elles se sont précipitées dans les couloirs, dans le dortoir. Et à l'heure où la cloche a sonné, tout était redevenu normal. Enfin aussi normal que ça puisse l'être quand l'une des vôtres a disparu au milieu de la nuit.

- Pauvre Léa ! finit par dire Ally. Je pensais qu'elle vivrait au moins un jour de plus.

Dinah regarde fixement un point dans le vide avant d'éclater en sanglots poignants. Je veux alors la consoler, mais elle me repousse.

- Laisse-moi tranquille, m'ordonne-t-elle.

On dirait un animal meurtri et furieux.

- Ne me touche pas, laisse-moi tranquille ! répète-t-elle devant mon insistance.

Elle me foudroie du regard et je recule. Je ne m'attendais pas à une telle réaction de sa part, car Dinah a toujours été très respectueuse envers moi. Shawn me jette un coup d'œil et hausse les épaules. C'est la peine liée au deuil, semble-t-il me dire. Rien d'autre.

- Je suis ici si tu as besoin de moi, marmonné-je.

Je me sens proche de Dinah. Nous partageons un secret, même si elle ne le sait pas encore. Je sens la feuille me brûler la cuisse à travers la poche de mon jean.

- Je te parlerai plus tard, lui dis-je encore tandis que nous descendons l'escalier pour prendre le petit déjeuner.

Elle ne me répond pas, se place à un bout de la table et se met à manger comme un robot.

Camila est toute pâle, et quand Eleanor fait remarquer que Léa n'est plus là, elle éclate en sanglots. Tout le monde nous observe. J'ai l'impression que les yeux sont plus précisément braqués sur moi. C'est horrible. J'ai la nausée. Je me sens à des kilomètres de la grotte, et pourtant, j'essaie de me rappeler l'expression émerveillée de Léa, cette nuit, quand elle buvait son chocolat chaud. Les autres ne le sauront jamais, mais Camila et moi avons commis une très bonne action. Je m'accroche à cette idée, à cette petite bouée dans l'océan obscur qui m'entoure. Plus qu'une semaine, me dis-je. Une semaine, et après, nous serons libres. En dépit de tout ce qui se passe, cette perspective me procure un sentiment de soulagement. Camila et moi allons partir pour l'aventure. Une plage chaude. Insouciantes et joyeuses. Je lance un coup d'œil à Dinah et la culpabilité m'assaille... C'est comme pour Jonesy et la fête. Est-ce que je l'emmène avec nous ou pas ? Mes yeux me démangent, tellement je suis fatiguée. Je réfléchirai à la question plus tard. Je lui parlerai quand elle se sentira mieux.

Il ne faut pas attendre longtemps pour qu'Ally colle des affiches annonçant une messe de commémoration en l'honneur de Léa, ce soir. Je me demande bien pourquoi elle se fatigue à fabriquer ces fichus placards ; il lui serait plus facile de passer entre nous pour nous en informer. C'est sans doute pour se donner de l'importance... Qu'en penserait Léa ? Je ne sais plus si elle était aussi agacée que moi par la chapelle d'Ally ; en fait, je ne crois pas qu'elle y accordait une grande attention. Je me rends compte qu'il y a énormément de détails que j'ignore au sujet de Léa.

Camila est sortie du réfectoire pour consoler Eleanor, mais ce n'est pas grave. J'ai besoin d'un peu de temps à moi pendant que la maison se remet du vide laissé par Léa. Elle m'inspire presque les mêmes impressions qu'à mon arrivée, bien que maintenant, je me rends compte que j'y ai accumulé des souvenirs ; je ne souhaite vraiment pas les emporter avec moi lorsque nous quitterons les lieux. Cette maison, qui n'en est pas une, est si étrange ; c'est le purgatoire des damnés.

Les confinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant