Chapitre 1

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- Ils disent que ça donne beaucoup de fièvre. Qu'ont toussent plus que de raison et qu'après les poumons finissent par exploser.

- Qui dit ça ?

- Les médecins. Je l'ai entendu par les médias.

- Tu regardes trop de film.

- Non, pas du tout, proteste Léa. Je te dis que je l'ai entendu aux infos et même que mes parents en parlaient. D'abord, on a des frissons, puis la fièvre monte. Je crois même qu'on a l'impression de se noyer.

- C'est vraiment n'importe quoi !

- Taisez-vous et dormez ! dis-je en roulant sur le côté.

La couverture au lainage rêche me gratte la peau, tandis que les exagérations de Léa m'irritent intérieurement. Je laisse échapper un soupir énervé et mon propre agacement me contrarie. Cette sensation d'exaspération m'est familière, ces derniers temps. Elle s'enflamme à partir de la boule que forme le soleil noir qui croît tranquillement au creux de mon estomac. A mon grand soulagement, les deux fillettes redeviennent silencieuses. C'est moi la leader. C'est moi qui commande. Je suis la chef, la maman. Du moins en ce qui concerne le dortoir 4. Mes paroles portent, ici.

Je remonte le drap amidonné jusqu'à ce qu'il recouvre le bord de la couverture. Il ne fait pas vraiment froid dans le dortoir, plutôt frais. Le genre de fraîcheur incrustée dans les briques et le mortier de bâtiments vieux de plusieurs siècles, une fraîcheur fantomatique, mélancolique, liée à ce qui a existé autrefois et qui est aujourd'hui en partie perdu. Cette maison est faite pour nous, me dis-je, et à cette pensée, la boule au fond de mon être se contracte. Je tremble et remonte les jambes sous le menton. Ma vessie m'élance. Génial.

- J'arrive pas à dormir, dit Léa d'un ton geignard. Pas avec ce qui se passe.

Elle se met à bailler et je l'aperçois dans la pénombre, assise en tailleur et touchant nerveusement les barres métalliques, au pied de son lit. C'est la plus jeune de notre dortoir, et pour son âge, elle est de petite taille. Elle est souvent puérile.

Un murmure constant s'élève du lit situé en face de celui de Léa, de l'autre côté de la pièce. Ally, la cinglée de la chambrée, est agenouillée à côté, en train de prier. C'est son rituel du soir, après l'extinction des feux. Un rituel religieux. Je soupire.

- Je crois pas que dieu t'entende. Etant donné la situation...

- Dieu est toujours à l'écoute, me répond sa voix affectée, qui semble flotter dans l'atmosphère peu conviviale du dortoir, tel un roseau ployant mais ne cassant pas sous la brise. Il est partout.

Ma vessie se tord de nouveau, et cette fois, je cède à mon envie et repousse les couvertures. Les lattes du plancher sont froides. Je me demande bien dans quel fichu état sont les genoux d'Ally. Mais je ne mets pas mes chaussons. Je ne suis pas une grand-mère.

- Alors prier n'a aucun sens, déclare Dinah d'un ton neutre.

Son lit est le plus proche de la porte et la fille regarde le plafond, les cheveux en bataille. Elle gesticule en parlant bien qu'elle soit allongée.

- Parce que si ton dieu est partout, alors il est aussi en toi, et par conséquent, tu devrais pouvoir communiquer avec lui par l'esprit. Votre échange pourrait durer toute la nuit sans qu'on entende le moindre son. Mais bien sûr, il n'y a absolument aucune preuve de l'existence d'une forme supérieure quelconque, ni qu'on soit plus qu'un amas de cellules et d'eau. Donc ton dieu sort tout droit de l'imagination de quelqu'un, et toi, tu as adopté cette invention. En fait, tu perds ton temps.

Les confinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant