Chapitre 13

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Je dévisse la boule de ma tête de lit et j'en sors prudemment le papier toilette chiffonné afin d'ajouter le comprimé de ce soir à ma collection. Au début, chaque nouveau était une petite victoire, mais maintenant, il y en a tellement que je ne peux m'empêcher de penser que mon temps ici est bientôt terminé. Qui sera le prochain ? Je roule une feuille en boule dans ma main et la glisse dans la tête de lit. J'ai des tâches plus urgentes à accomplir que penser à ma mort imminente qui, pour être honnête, reste encore abstraite pour moi, même dans mes moments les plus noirs. Nous avons tous un peu de « Henry » en nous, moi y compris : « Je crois qu'il doit y avoir une erreur. » Et ce sera le cas jusqu'au sanatorium. Ou jusqu'à ce que je ressente une curieuse douleur au fond de moi-même et que je me demande si mon heure n'est pas arrivée ; alors je m'allongerai dans mon bain et me tâterai le corps, le cœur battant, pour procéder à mes vérifications concernant l'apparition de symptômes. Mais la plupart du temps, je me convaincs que ce terrible néant ne me concernera pas. Ni moi ni Camila. Notre place n'est pas ici. Nous allons nous enfuir.

Je la trouve dans la salle de jeux ; aucune de nous n'a faim, ce soir, et nous nous agenouillons sur le canapé pour contempler la pluie qui tombe sans interruption derrière les carreaux. Le manoir nous semble encore vaste, depuis que Georgie l'a déserté. Il était devenu une partie de notre routine, et maintenant, il s'en est allé. Camila a les traits tendus, elle est visiblement inquiète. Je ne suis pas habituée à la voir dans cet état.

- Eleanor et toi pourriez venir vous asseoir à notre table, au réfectoire, dis-je. C'est Léa qui l'a suggéré. Je pense que c'est une bonne idée.

Mon ton est optimiste, et je le suis. Pour une fois, c'est moi qui ne me tracasse pas. Léa a raison. Pourquoi avoir peur et faire comme si rien ne s'était passé ? Pourquoi perdre notre temps à nous ignorer parce que c'est cette attitude que les autres attendent de nous ?

- Et Ty ? demande-t-elle en se mordant la lèvre.

- Il est déjà furieux, un peu plus ou un peu moins, quelle importance ?

Je lui souris et poursuis :

- Pourquoi nous préoccuper de ce qu'il pense ? Il n'est pas notre père ; ce sont nos vies. Pourquoi on devrait être malheureuse pour lui faire plaisir ?

- C'est sûrement ma faute, marmonne-t-elle. J'ai dû lui envoyer de mauvais signaux.

- Pourquoi tu dis ça ? (J'ai l'impression qu'on m'enfonce un couteau dans le cœur.) Tu ne l'as jamais embrassé, ou fait quoi que ce soit de compromettant avec lui ?

Je repense parfois à ce rendez-vous dans la salle de jeux, même si je sais que c'est stupide.

- Bien sûr que non ! Mais je savais qu'il m'aimait bien. Je croyais qu'il avait compris que je préférais les filles, que je te préférais, toi.

- S'il n'a pas capté, ce n'est pas ta faute. Et il s'en remettra.

En silence, je souhaite qu'un nouveau van rempli de filles sexy arrive au plus vite pour que Ty puisse effectuer son choix : ce serait plus facile pour lui de tourner la page si d'autres distractions se présentaient. Pour Shawn aussi.

- Ça me fait bizarre que les autres soient au courant pour nous, pas toi ? demande-t-elle avec douceur. Tu crois que ça va changer quelque chose pour nous ?

Je sens mon cœur fléchir.

- Pourquoi ? De toute façon, ils ne connaissent que le haut de l'iceberg. Ils ont découvert Georgie, ils savent aussi qu'on se plaît, mais c'est tout.

Les confinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant