Chapitre 14

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   La nuit est belle et claire, mais aussi terriblement froide, si bien que nous emportons nos couvertures pour faire le mur. J'ai mis deux paires de chaussettes et Camila porte des leggings sous son jean ; malgré tout, l'air est si glacé qu'il nous fait haleter. Si nous nous pelotons cette nuit, ce ne sera pas avant d'avoir réintégré le manoir, et bien que j'y pense beaucoup, je peux tout à fait attendre. Après la nouvelle séance de prélèvement, j'ai juste envie de laisser la demeure derrière moi et de me sentir libre... D'une certaine façon, le fait que mon visage m'élance terriblement m'est égal, car ça prouve au moins que je suis en vie. Je suis déterminée à ne pas replonger dans la frayeur permanente après ce test sanguin. Ce n'est peut-être rien du tout ; en tout cas, rien qui nécessite qu'on se tracasse. D'ailleurs, c'est ce que l'infirmière a affirmé. Et quand bien même ce seraient des foutaises, j'ai envie de m'y accrocher ! Pour l'instant, je suis apaisée ; c'est toujours le cas quand je suis en compagnie de Camila. C'est comme si elle se trouvait à l'intérieur d'une bulle où rien ne pouvait l'atteindre et qu'elle m'invitait à la partager.

Les couvertures nous ralentissent un peu dans notre marche, mais une fois que nous sommes sur la grève, nous nous mettons à courir jusqu'à la grotte et nous rions en pénétrant à l'intérieur, heureuses d'avoir échappé à la brise cinglante de la mer, à laquelle se mêlent des échardes de glace.

- La vache, j'ai jamais connu un froid pareil ! s'exclame-t-elle alors que nous nous asseyons sur les pierres qui sont devenues notre banquette. Ça rend timbré.

Elle a raison. La pluie n'est pas inhabituelle, mais je ne me rappelle pas avoir connu un froid si intense. Ce n'est pas un temps parisien, en tout cas pas d'aujourd'hui, pas de notre époque.

Nous sortons la nourriture de nos poches avant de nous enrouler dans nos couvertures. A vrai dire, avec ou sans, je ne perçois pas vraiment la différence, mais elles procurent une sensation de confort, même si mes oreilles me brûlent. Camila commente la bagarre, me confie que les autres ont déclaré que j'avais eu du cran d'affronter Ty, mais je ne l'écoute qu'à moitié. Ce que j'aime, en réalité, c'est l'entendre parler, avec en arrière-fond le bruissement régulier de la mer ; sa voix semble alors flotter au-dessus comme une mélopée enchanteresse.

- J'arrive toujours pas à croire que tu lui aies donné un coup de poing en plein visage, dit-elle en posant la petite bougie derrière une pierre pour la protéger des courants d'air. J'aurais aimé voir ça.

- J'ai calculé que l'attaque était la seule façon de m'en sortir.

Je suis heureuse qu'elle soit impressionnée. De fait, tout le monde dans la demeure me regarde de façon légèrement différente, depuis la bagarre. J'ai tenu tête à Ty. OK, c'est toujours lui qui mène la barque, mais ce n'est plus comme avant. Par chance, les seules personnes qui semblent se contreficher de nos blessures, ce sont les infirmières. Après tout, que l'on meurt de ça ou d'autre chose... Nous nous sommes battus et nous avons réglé nos comptes. Pourquoi nous chercher des ennuis pour ça ? Du moins, j'espère que c'est bien leur raisonnement. A moins qu'elles ne sachent que mon sang est complètement foutu, et que ça ne vaut pas la peine de me punir. Peut-être, peut-être...

- Je savais qu'il ne te battrait pas à plates coutures. J'étais sûres que tu t'en sortirais.

- J'espère juste que l'affaire est réglée, maintenant. C'était horrible, ces derniers jours.

- Ton œil, ça va ?

Je hausse les épaules.

- Il est sensible. Je n'y vois toujours pas très bien. J'imagine que j'ai l'air d'une professionnelle de la bagarre.

Les confinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant