Chapitre 21

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Ce jour-là, les vans sont au nombre de sept. Comme la dernière fois, nous nous tordons le cou derrière la fenêtre du dortoir pour voir les enfants en sortir. Il y en a un par camionnette. J'ai été tellement absorbée par ma propre exaltation, à l'idée de partir, que je ne m'attendais pas à ce que d'autres arrivent. Mais la maison a développé son propre univers et il continue de tourner.

- Je me demande s'il y aura un nouveau dans notre dortoir, dit Shawn.

Il ne paraît pas ravi à la perspective qu'un intrus se glisse parmi nous, et j'ai presque envie de sourire : il n'y a pas si longtemps, nous nourrissons les mêmes réticences envers lui.

- Peut-être qu'il y aura de nouvelles filles, dis-je d'un air entendu.

En un sens, je l'espère pour Ty et lui, ce qui me permettrait de déculpabiliser pour leur avoir « volé » Camila, même s'il n'en est pas vraiment ainsi, puisque Camila et moi étions destinées l'une à l'autre. Je ne peux pas imaginer d'autres personnes éprouvant les mêmes sentiments que nous. Cela dit, de nouvelles filles pourraient les distraire... En réalité, je ne partage pas réellement l'enthousiasme ambiant, car je crains que ces nouveaux enfants ne viennent perturber mes projets de fuite avec Camila. Ils auront intérêt à prendre leurs comprimés ! Je suis tellement impatiente de partir que je redoute à tout instant qu'un grain de sable vienne perturber nos plans.

Dinah est elle aussi à la fenêtre, mais au bout d'un moment, elle s'en éloigne et va s'asseoir en tailleur sur son lit, devant l'échiquier artisanal qu'elle avait fabriqué avec Léa. Elle déplace une pièce des noirs, puis marmonne des mots inintelligibles, avant d'émettre un petit rire étrange. Son comportement est déstabilisant.

- Tu te parles à toi-même, maintenant ? lui demande Shawn. C'est carrément bizarre.

Dinah lève la tête vers lui, écarquillant les yeux surpris.

- Je me parles pas à moi-même !

- Si !

- Mais non !

- A qui tu t'adresses, alors ?

Dinah sourit, et elle a presque son ancien sourire. Presque, pas tout à fait.

- A Léa, bien sûr, répond-elle. Je discute avec Léa.

Et sur cette affirmation, elle se remet à jouer tandis que nous la regardons avec curiosité. Shawn finit par émettre un son avec la langue pour exprimer son dégoût.

- C'est un endroit de dingues, ici, maugrée-t-elle.

Après cet échange, personne n'a vraiment envie de prendre la parole. Le spectacle de la fenêtre finit par me lasser et je vais m'allonger sur mon lit. Je me demande si Dinah n'a pas adopté ce comportement pour me rendre folle. Pour que je n'oublie pas. D'une certaine façon, j'espère que c'est ce qui explique son attitude ; c'est fichtrement préférable à l'idée que Dinah, le petit génie, ait perdu la boule. Qu'elle puisse supporter d'être condamnée, de vivre dans cette demeure, mais pas de perdre son amie. Je peux accepter qu'elle me déteste, mais comme je suis obligée de lui faire part de nos projets d'évasion, j'ai besoin qu'elle ait toute sa tête. Le temps passe, nous entendons des pas dans le couloir, mais aucun nouvel arrivant n'entre dans le dortoir 4. Il est clair que nous en sommes tous soulagés. Nous avons déjà assez de problèmes sans qu'on nous apporte du sang frais.

A l'heure du thé, Ty fait le crâneur et sa voix domine le brouhaha ambiant. De nouveaux garçons occupent la table du dortoir 7 et il tient à montrer qui est le chef. Je regarde à peine les nouveaux visages et je ne demande pas les noms. L'air vibre d'excitation, et je sens qu'une nouvelle ère commence, mais je n'ai plus la sensation d'appartenir au manoir.

Les confinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant