Chapitre 11

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- J'ai entendu deux enfants du dortoir 2 en parler dans la salle de jeux, affirme Dinah. Ils disaient que c'était un miracle. Et qu'ils allaient peut-être se faire baptiser, eux aussi.

- Quel ramassis de conneries ! dit Shawn en reniflant.

Nous regardons tous la nouvelle affiche, dans le hall. Elle est très colorée, avec sa colle à paillettes aux quatre angles. Où est-ce qu'Ally a déniché ça ? Pourquoi y a-t-il ce genre de matériel au manoir ? Qui l'a acheté ? L'écriture est large et presque artistique, les lettres formant une boucle à la fin de chaque mot ; le message annonce une « messe de célébration pour la guérison de Joe ! » Je me demande si ce n'est pas Harriet qui est maintenant en charge des affiches. Shawn a raison, ce sont vraiment des foutaises, et ça n'a rien à voir avec un fichu miracle : Joe s'est remis de sa grippe, c'est tout.

- Vous croyez pas qu'on devrait l'enlever avant que Ty la voie ? demande Léa.

- Pourquoi ? Ty ne va rien faire contre la chapelle d'Ally, il n'est pas stupide, déclare Dinah. Il sait que Matrone l'apprendrait. Et puis, qui s'intéresse à l'avis de Ty, de toute façon ? D'ailleurs, s'il veut s'attaquer à Ally, on n'a pas à se mêler de cette histoire !

- Pourquoi les gens sont aussi stupides ? marmonne Shawn.

Je hausse les épaules. En réalité, je ne suis pas vraiment avec eux, puisque je ne cesse de revivre encore et encore le moment merveilleux où Camila m'a appelé sa copine ; je me concentre aussi pour ne pas arborer un sourire béat en permanence.

- Oublions tout ça et faisons autre chose, dis-je. Et si on regardait un film, par exemple ?

- Moi, j'ai envie d'aller traîner dans la salle de musique, décrète Shawn d'un ton décontracté.

En réalité, il veut y aller parce que Camila s'y trouve. Je me mords la langue pour ne pas lui hurler qu'il perd son temps parce qu'elle préfère les filles.

- Toi tu vas dormir, j'imagine, me dit Léa en soupirant.

- Non.

Pour une fois, je ne suis pas fatiguée ; bien au contraire, je me sens déborder d'énergie.

- Ah bon ? On a trouvé un vieux jeu de société, hier, enchaîne Léa avec enthousiasme. Ça s'appelle Escapade au colditz, et c'est vraiment excellent.

- Jamais entendu parler !

Avant, je sortais mes jeux de société uniquement quand Grand-mère venait nous rendre visite, à Noël.

- Ce serait encore plus drôle d'y jouer à plus de deux, précise Léa.

Et elle et Dinah se mettent à me regarder avec insistance...

- OK, dis-je. Allons-y !

Au fond, pourquoi pas ? Qu'est-ce que je vais faire sinon ? Rester allongée sur mon lit à compter les heures interminables avant que tout le monde soit endormi et que Camila et moi puissions nous retrouver ? Si je joue, le temps passera plus vite.

Finalement, ce n'est pas un jeu si nul que ça ; Dinah et Léa me font rire, et l'heure de la dernière collation arrive sans que nous ne nous en rendions compte. Du regard, Léa cherche la fameuse infirmière, mais elle n'est pas au buffet, ce soir. Elle s'y trouvait, ce matin, et elle lui a souri en allant chercher des toasts, avant de revenir convaincu qu'elle lui avait adressé un petit signe de reconnaissance. Je ne sais pas si c'est vraiment le cas, mais puisque Léa y croit, c'est le principal. Elle est jeune, sa mère lui manque. C'est la seule d'entre nous qui l'ait avoué, après que Henry est tombé malade, au début. Cette dernière nous a retiré toute envie de parler de nos mères ; ses cris cauchemardesques nous ont tous tétanisés.

Les confinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant