Chapitre 18

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Je ne crois pas que je vais dormir et, finalement, je sombre dans un sommeil profond quelques heures et n'entends même pas la cloche. Shawn doit me secouer pour me réveiller. Dehors, le ciel brille de façon éclatante et tout étincelle tandis que la neige et la glace continuent à fondre. C'est une belle journée et je m'habille en gardant les yeux fixés sur le paysage, à travers les carreaux. Puis je finis par pivoter sur mes talons...

Dinah est en train d'aider Léa à se vêtir et il est évident que son état s'est détérioré. Ses jambes tremblent, on dirait qu'elle a maigri. Ses yeux semblent plus enfoncés dans son visage, et de la peur à l'état pur s'y reflète.

- Il faut qu'on l'aide à prendre son petit déjeuner, dit Dinah en tournant la tête vers moi.

J'aimerais tant qu'elles ne s'en remettent pas toujours à moi. J'aime Léa, mais je n'ai pas envie d'être à côté d'elle, en ce moment.

- Bien sûr, dis-je malgré tout.

- Parfait.

Léa essaie d'attacher ses souliers, mais ses doigts refusent de coopérer. Alors Dinah se met à genoux et lace sa deuxième chaussure.

- C'est rien, assure Léa, je vais bien.

Puis elle nous considère tour à tour, d'abord Shawn, puis moi et enfin Dinah, cherchant désespérément une confirmation dans nos yeux. Seule cette dernière la lui donne, parvenant à arborer un sourire.

- Je sais, dit-elle. T'as juste un petit problème ce matin, et on veut pas que les infirmières s'en aperçoivent alors qu'il y a encore de la neige à l'extérieur et qu'on n'a pas fini de fabriquer notre jeu d'échecs.

Je n'arrive pas à les regarder, ça me fait trop souffrir.

Au petit déjeuner, je dois prendre sur moi pour ne pas reculer ma chaise et m'éloigner d'elles. Je comprends mieux à présent la réaction des autres dortoirs. Il ne s'agit pas d'un manque de sensibilité, c'est juste qu'il est très pénible de voir le processus de tout près. Ce n'est pas notre Léa. Notre Léa mange trop et voit le bien en toute chose. Notre Léa pense toujours qu'on va permettre à nos parents de nous écrire.

- Je ne veux pas que mes poumons explosent.

C'est la seule chose qu'elle dit pendant que nous nous forçons à manger. Elle regarde son toast, épaules affaissées. Elle s'est exprimée d'un ton à la fois doux et vide. Et il me remplit d'effroi.

C'est une journée horrible, qui n'en finit pas ; la tension ne cesse de monter et j'ai l'impression que tous les tendons de mon corps vont craquer d'un coup. Je regrette que les nouveaux professeurs ne soient pas déjà arrivés, car, au moins, quelques heures auraient été occupées par les leçons. Nous sortons dans le jardin et, bien que le soleil soit éclatant, l'air reste très vif. Dinah et Eleanor s'efforcent de distraire Léa, et je crois que ni l'une ni l'autre ne s'imaginent que l'heure a sonné pour elle. Elles sont dans le déni de la réalité et, d'une certaine façon, leur attitude aggrave la situation, car ça signifie qu'il faut s'inquiéter pour elles trois.

- Tu vas bien ?

Ty est venu me rejoindre et s'est assis sur l'autre balançoire. Je me souviens alors que Dinah et moi avions parié que Joe serait le suivant. Or, ce dernier est en train de jouer avec Daniel au ballon, dans la neige fondue. Ils ont tous les deux l'air en parfaite santé.

Je hoche la tête et précise :

- J'imagine qu'on pourra pas garder notre chance éternellement.

Il n'ajoute rien, et j'en suis soulagée. Quelle que soit la trêve dont nous sommes convenus, tout a changé, maintenant. Il n'est pas l'un des nôtres, pour le moment. Cette affaire concerne le dortoir 4 et nous nous serrons les coudes.

Les confinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant