Chapitre 22

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- Pourquoi tu ne m'as pas réveillée ? me demande Camila alors que nous entrons dans le réfectoire pour le petit déjeuner.

C'est le dernier matin avant l'arrivée du bateau. Je suis toute électrique, m'efforçant de contenir mon excitation intérieure, et sa colère me prend de court. Elle a les traits tendus, les lèvres serrées, et me regarde fixement. Elle ne s'est jamais comportée ainsi avec moi auparavant, et de nouveau, je ressens ce sombre élan de peur, la peur qu'elle se soit finalement rendu compte que j'étais une pauvre conne.

- Je suis désolée, mais j'ai pensé que tu étais fatiguée. Je me suis dit, enfin, tu vois, que pour cette nuit, c'était mieux de te laisser dormir.

Ce n'est vraiment pas le moment qu'elle soit furieuse contre moi, car je dois précisément lui annoncer qu'on emmène Dinah et je sais qu'elle va paniquer à cette perspective. J'ignore comment je réagirai si elle refuse. De toute façon, Dinah viendra avec nous, et je m'occuperai des répercussions plus tard. A condition, bien sûr, que celle-ci accepte de nous accompagner. Je prends un risque en lui avouant la vérité, à notre sujet, mais je n'ai pas le choix, sans quoi je ne pourrais plus jamais me regarder dans une glace.

- C'était notre dernière nuit, dit-elle, d'un ton blessé. C'était important.

- Je suis vraiment désolée.

Je me sens toute penaude. J'ai envie d'admettre que j'ai failli la réveiller, que je voulais me rendre à la grotte avec elle et que je souhaitais aussi que nous prenions congé du manoir ensemble. Même si l'idée me meurtrit, notre histoire est essentiellement liée à ces murs. Le meilleur peut naître parfois du pire. Je voudrais aussi lui confesser qu'en réalité une partie de moi-même était en colère qu'elle se soit endormie par une nuit si cruciale. Que je l'ai contemplée dans son sommeil, puis que je me suis livrée à nos activités habituelles : je me suis préparée des sandwichs dans la cuisine et je les ai savourés dans la salle de jeux, en admirant le ciel. Je me suis réjouie d'avoir un peu de temps à moi, afin de réfléchir. De faire mes propres adieux. J'ai vécu ici plus longtemps qu'elle, et je devais dire au revoir à un autre avant, celui qu'elle n'a pas partagé avec moi dans cette maison. Pourtant, je ne parviens pas à lui livrer mes pensées. En réalité, je n'ai pas envie qu'on se querelle, et puis on ne peut pas revivre cette nuit-là, alors à quoi bon se lancer dans des explications ?

- Comme je te dis, je pensais que... que tu étais fatiguée, voilà.

Elle pousse un soupir et son dos est tout raide quand nous nous asseyons. Je lui étreins la main sous la table, et elle presse la mienne en retour. Je ne peux pas croire qu'elle reste longtemps remontée contre moi. Elle vit trop dans l'instant pour ruminer un ressentiment.

- Je suis désolée, dis-je de nouveau dans un murmure.

- Je sais, c'est la troisième fois que tu le répètes.

- Je ne le ferai plus, promets-je, sourire et clin d'œil à l'appui.

La nuit est derrière nous, et je n'arrive pas à imaginer que demain, à la même heure, nous filerons vers le continent. Je ne suis pas inquiète au sujet du bateau, nous trouverons où nous cacher. Peut-être dans un canot de sauvetage, d'ailleurs. J'ai vu ça une fois, dans un film, les fugitifs s'en étaient sortis de cette façon. Nous poursuivons notre destin loin de la maison des morts.

Après le déjeuner, nous disposons de dix minutes avant le début des cours. Alors que Camila sort des toilettes, je l'entraîne dans la salle de jeux, à l'écart.

- Qu'est-ce qui se passe ? demande-t-elle.

Elle a les yeux écarquillés, le teint pâle, et paraît préoccupée. Elle doit avoir hâte de partir, elle aussi. Je prends une profonde inspiration. Ça va être la conversation la plus difficile de la journée, et quand la situation est sérieuse, je bute sur les putains de mots.

Les confinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant