La Danse des Royaumes - T1 : La Vengeance de l'Impératrice

Chapitre 2 - Ekir

Cobyn, Opewaldia, an 319 après la Grande Révolution

Ekir se leva très tôt comme à son habitude. Cela faisait de nombreuses nuits qu'il ne dormait plus que très peu. Lorsqu'il parvenait enfin à trouver le sommeil, c'était Tran l'Ancien et son fils qui venaient le hanter. Le premier lui reprochait sa mort et le second lui promettait de venir le tuer dans son château.

C'était donc un soulagement pour lui de se réveiller et de voir qu'il était sain et sauf. Un soulagement qui ne durait jamais longtemps.

Les rumeurs disaient donc vrai : le Roi Tran III prévoyait bien d'attaquer le royaume d'Opewaldia pour venger son père. Cela faisait plusieurs mois qu'il entendait ses conseillers lui conter que le royaume de Rohr préparait peut-être une possible conquête de son royaume. Si ces informations avaient suffi à le pousser à redoubler de prudence, il avait pensé qu'il s'agissait seulement de bruits de couloir, de suppositions. Surtout, il ne voulait pas y croire. Depuis la Dispute de Mahtal, il voulait à tout prix éviter qu'une nouvelle guerre n'éclate et il avait refusé  d'accepter la vérité. Malheureusement, il ne put continuer à se voiler la face quand, quelques jours auparavant, un espion lui rapporta que l'armée royale rohrienne avait quitté Geiburg pour Wermester. Il était temps pour lui de faire face à la réalité : le Royaume de Rohr allait tenter de conquérir le sien.

Après avoir consulté rapidement ses courriers, il quitta sa majestueuse chambre et se dirigea vers la gigantesque salle à manger royale. Lorsqu'il passa dans les couloirs de son magnifique palais, tout le monde s'écarta pour le laisser passer et le salua avec une grande politesse. Ekir n'était pas un roi particulièrement aimé ou craint par son peuple mais il était respecté et ça lui suffisait amplement.

Il vivait dans ce chateau depuis de nombreuses années mais chaque jour, il restait frappé par sa somptuosité. Waldiens comme étrangers s'accordaient à dire que c'était le plus beau du Continent du Monde. Ce n'était pas seulement le plus esthétique, c'était également le plus imprenable. La forteresse avait été construite sur un îlot et était donc entièrement entourée d'eau. Outre cette défense naturelle, les murs étaient incroyablement grands et solides. Tran pourrait bien conquérir tous ses duchés, il n'arriverait jamais à lui arracher Cobyn.

Ekir fut accueilli dans la salle par son cuisinier personnel qui lui adressa une révérence et un large sourire et qui l'installa à sa table habituelle. Même à six heures du matin, la pièce était impeccable, bien rangée et lumineuse. Le roi fut immédiatement servi de son met préféré : une brioche aux fruits confits.

- Ca fait vingt ans que tu manges ta brioche chaque matin à la même heure et à la même place, s'exclama une voix derrière lui. Faut avancer mon vieux !

Le roi reconnut la voix. C'était son vieil ami Samin Cudmouth, l'un de ses ducs, qui venait probablement d'arriver à Cobyn. Ekir se retourna et se leva pour le prendre dans ses bras.

- Et toi Sam ? lui répondit-il en le regardant de bas en haut. Ca fait vingt ans que tu t'adresses à ton roi comme s'il était ton vassal. Il s'agirait de grandir !

- Tu seras toujours le petit prince Ekir avec lequel j'ai repoussé l'invasion thaarmienne. Sérieusement, je ne m'y ferai jamais, ajouta-t-il en pointant son insigne de roi.

Ekir baissa les yeux.

- Moi non plus. Surtout en ces temps si difficiles.

Le duc de Cudmouth s'assit, comme pour signifier à son ami qu'il fallait désormais parler de sujets sérieux. Il avait plus d'une cinquantaine d'années, comme lui, mais il avait l'air en bien meilleure forme que son monarque. Son visage n'était pas marqué par la vieillesse mais par la peur. Ekir connaissait assez bien son ami pour savoir qu'il était autant voire plus tracassé que lui.