Chapitre 8 : Tran

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Geiburg, an 319

La journée avait été très longue pour Tran. Le matin, il avait passé la matinée avec les ducs de Witnaudens et de Achenfeld et leur général d'armée. Venus du Nord-Ouest de Rohr avec leur armada pour prêter main forte à l'armée royale qui allait combattre à l'Est du territoire, ils avaient tenu à faire un arrêt par la capitale pour s'entretenir avec le roi. Les deux seigneurs avaient passé la matinée à vanter les mérites de leurs soldats et à conter au combien ils étaient heureux de participer à la guerre. Tran s'était senti délivré lorsqu'un serviteur l'informa que le repas était servi.

Mais l'après-midi fut encore pire. Il assista comme trop souvent ces derniers temps à un très long conseil stratégique en présence des deux ducs et de ses conseillers. Elle dura plus de quatre heures. Avant, c'était son frère, le prince Toman, qui gérait tout l'aspect militaire de la guerre à venir et qui supportait ces interminables réunions. Tran n'avait qu'à sourire et valider ses décisions. Mais désormais, le prince parti en mer attaquer Opewaldia par l'Océan Sanguin, c'était à lui d'assumer enfin son rôle de monarque. Et Tran détestait ça. Il détestait généralement tout ce que sa fonction de roi impliquait.


Il n'était clairement pas prêt pour tant de responsabilités. Il donnerait tout pour revenir trois ans en arrière, quand son père était encore vivant et roi de Rohr et qu'il était encore un jeune prince insouciant. Tout ce pouvoir lui était tombé dessus si soudainement, sans qu'il y ait été préparé. Sa première réaction fut de se montrer arrogant et hautain et de s'éloigner de ses proches, comme pour se protéger de toute cette charge qui l'effrayant. Il avait beaucoup pris de distances avec son frère Toman et avec son ami Boris.

La seule personne dont il était resté proche était sa femme. Sans elle, il n'aurait jamais tenu. La reine avait été - et elle était encore - d'un soutien incroyable. Dès qu'elle sentait qu'il allait moins bien, elle le réconfortait et le rassurait. Elle était une épouse parfaite. « Elle devrait être roi à ma place », pensait-il si souvent, impressionné par la force dont elle faisait preuve. Il l'aimait énormément. Elle représentait tout dont il avait besoin. C'était une femme dotée d'une beauté et d'une détermination sans pareille. Et surtout, ce serait dans quelques mois la mère de son enfant.


Lorsque le roi rentra dans ses appartements après le diner, elle était déjà là sur le lit en train de s'endormir. Depuis qu'elle était enceinte, elle partait souvent avant la fin du désert pour se reposer. Il se glissa sous la couette à ses côtés et lui déposa un petit baiser sur son front. Il lui releva une mèche de ses beaux et longs cheveux blonds qui pendait devant son visage et l'observa de longues minutes. Il adorait la regarder dormir. Il ne pouvait pas voir ses yeux bleus clairs qui l'avaient charmé dès le premier jour mais il ne lassait pas de la voir si calme, si apaisée. Très différente de la Evalia au tempérament enflammé qu'il avait l'habitude de côtoyer le jour.

A son tour, le roi ferma les yeux et essaya de s'endormir. Il pensa à son frère. Était-il encore vivant ? Cela faisait désormais presque deux semaines qu'il avait quitté la terre ferme et il devrait être arrivé à Opewaldia depuis maintenant plusieurs jours. Sans nouvelle, Tran craignait le pire. Il l'imaginait dévoré par un kraken ou servant de repas aux poissons au fond de l'océan. Lorsqu'ils étaient petits, ils avaient entendu des milliers de légendes sur l'Océan Sanguin et ses dangers naturels et surnaturels. 

Si son frère était mort, il serait le seul et unique responsable. C'était à cause de la guerre qu'il avait décidé de mener et à cause des ordres qu'il lui avait donnés qu'il serait mort. Il l'avait déjà envoyé sur l'île Giantos pour négocier avec les géants. Il aurait dû arrêter de lui faire courir des risques et le garder à ses côtés. Mais désormais c'était trop tard, l'erreur était faite et Tran ne rien faire à part implorer les dieux. « Épargnez-le, s'il vous plait. Je le traiterai à nouveau comme avant. Comme le merveilleux frère que j'aime ».

Si Tran regrettait de l'avoir envoyé dans ce si dangereux océan, il regrettait également la façon dont il l'avait traité ces dernières années. Toman avait toujours été un petit frère dévoué. Ils avaient grandi ensemble, ils avaient tout vécu ensemble. Ils avaient même combattu côte à côte il y a trois à Mahtal. Et pourtant, avec la mort de leur père qui aurait dû les rendre inséparables, ils étaient devenus des étrangers. Et c'était entièrement la faute de Tran.

Petit à petit, il s'endormit. Malgré les pensées qui le hantaient pendant qu'il s'endormait, il rêva de ses belles années pleines d'insouciance, de sa rencontre avec Evalia et de leur mariage. Il rêva aussi de son enfant qui allait naitre : une magnifique fille qui était le portrait craché de sa magnifique mère.


Au milieu de la nuit, un bruit le réveilla.

- T'as entendu ? lui demanda sa femme, paniquée.

- Surement un garde qui a fait tomber son bouclier, ne t'inquiète pas, la rassura-t-il en se tournant vers elle. On est bien protégés.

- J'ai un mauvais pressentiment, chéri.

Tran ne lui répondit pas et essaya de se recoucher.

- Garde ! cria Evalia aux soldats qui se tenaient derrière la porte. Garde !

- Dors mon amour.

Elle les appela une dizaine de fois mais pas de réponse. Puis elle poussa un hurlement de peur qui le fit sursauter.

- Tran, Tran, il y a un homme armé. Tran ! Fais quelque chose !

Le roi regarda partout autour de lui. Rien du tout. Sa femme devenait littéralement folle. Elle pointait du doigt quelque chose dans la chambre mais il ne voyait rien. Que lui arrivait-elle ? Il la vit se lever en vitesse du lit, prendre un couteau qui trainait sur la table de chevet et tenter de frapper le vide. Tran ne comprenait rien. Il allait demander à Evalia de sa calmer quand il la vit être projetée violemment au sol. Que se passait-il ?

Il n'eut même pas le temps de se poser la question qu'il sentit une douleur horrible à la poitrine qui lui arracha le cœur, comme un coup de poignard. Il poussa un cri puis regarda son ventre et vit une énorme tâche de sang se former sur sa chemise. Mais avant qu'il puisse faire un geste, il se sentit très faible. Il sentit le froid parcourir son corps. « Evalia » souffla-t-il en puisant ses dernières forces. Puis tout devint flou, tout devint noir...

La Danse des Royaumes - T1 : La Vengeance de l'ImpératriceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant