La Danse des Royaumes - T1 : La Vengeance de l'Impératrice

Chapitre 20 : Brandon

Forêt frontalière de Mahtal, an 319

Depuis que Brandon l'avait récupérée, la jeune fille n'avait pas cessé de pleurer. Elle s'accrochait, silencieuse, aux sangles de la selle alors qu'ils chevauchaient tous les deux sur le dos de Saboteur. Le pauvre cheval devait être exténué de transporter deux personnes. Mais la reine Evalia avait surement envoyé des hommes à la recherche de sa sœur. Il fallait donc très vite quitter la forêt. Une fois sur le territoire d'Opewaldia, Brandon serait en sécurité, la duchesse beaucoup moins.

Pour la première fois de sa jeune carrière d'assassin, Brandon n'avait rien prévu et n'avait aucun plan. Il était en train de traverser la forêt pour rejoindre Opewaldia lorsqu'il avait aperçu cette jeune femme galoper seule au milieu des bois. Il avait directement reconnu sa silhouette fine, ses cheveux d'un noir sombre et surtout ses yeux bleu turquoise. C'était Elia, la duchesse de Mahtal, qu'il avait vu un an plus tôt à Cobyn lorsque son mari Boron Mahtal était venu rendre visite au roi Ekir. Dès le premier instant, il avait été frappé par sa beauté, par son élégance et également par sa fragilité apparente. Complètement obsédé par cette jeune femme, Brandon avait passé toute la cérémonie à la regarder et à admirer ses moindres faits et gestes. Il avait vu une femme, la tête baissée et le regard vide, meurtrie par la violence et l'atrocité de ce monde. Mais il avait aussi vu une femme forte et fière qui tentait de rester digne malgré ce qu'elle vivait.

À Cobyn, beaucoup de rumeurs courraient sur le traitement infligé à la duchesse par son mari. Certaines probablement exagérées disaient qu'il forçait tous ses hommes à la violer un par un, d'autres plus réalistes racontaient que Boron ne se souciait pas du consentement d'Elia lorsqu'il voulait lui faire l'amour et qu'il n'hésitait pas à la rouer de coups si elle résistait. Une chose était sûre : elle vivait un calvaire depuis la mort de ses parents de son frère. 

Lorsqu'il l'avait aperçue sur son cheval, il l'avait trouvé encore plus attirante qu'un an auparavant. Elle avait grandi et semblait avoir gagné en assurance. On pouvait toujours entrevoir les traces de ses souffrances passées mais on sentait également beaucoup d'espoir en elle. « Elle fuit », s'était murmuré Brandon.

Que devait-il faire ? La laisser rejoindre sa grande sœur ? Ce serait une véritable trahison à l'égard d'Opewaldia. Il était au service du royaume et de son roi. Il ne pouvait se permettre de la laisser fuir sans rien faire.

Il la voyait si heureuse sur son cheval mais également seule au milieu des bois. C'était dangereux pour elle si elle croisait un waldien dans cette forêt dangereuse. Il essayait de se convaincre en se disant que l'intercepter et la ramener à Mahtal était une façon de la protéger.

Brandon avait beaucoup hésité. Une bataille faisait rage à Mahtal. Si Rohr gagnait et qu'il la ramènerait au château, il serait reconnu et exécuté. Si Opewaldia gagnait, c'était Elia qui vivrait de nouveau un cauchemar en retournant dans les bras de son horrible mari.

Il s'était mis à suivre la jeune femme pour ne pas perdre sa trace et continuer sa réflexion lorsqu'il vit un soldat de l'armée rohrienne chevaucher à ses côtés. L'argument de la dangerosité des bois n'était plus valide mais celui de la jalousie venait d'entrer en compte et il pesait nettement plus lourd. Il avait alors attendu l'opportunité parfaite pour attaquer le combattant et n'avait pas hésité le moment venu. Mais Brandon en était bien conscient : il n'avait pas agi pour son royaume ou pour la sécurité de la duchesse, il avait simplement agi pour lui-même. Cette femme et ses magnifiques yeux bleu clair l'obsédaient et il voulait à tout prix l'approcher et savoir ce qui se cachait derrière ce visage d'ange.

Lorsqu'il avait tué son garde, Brandon avait vu Elia se décomposer. Elle s'était mise à genoux et l'avait supplié de ne pas la ramener à Mahtal. Sans laisser paraitre la moindre incertitude, il lui avait juré de la protéger de ce tyran mais il n'était pas du tout sûr qu'il pourrait tenir sa promesse. Il l'emmènerait à Cobyn et ferait tout pour convaincre Ekir de ne pas la renvoyer à son mari. Mais en soit, il n'avait aucun moyen de savoir que son roi accepterait. Le connaissant, c'était même très peu probable.