La Destinée du Dragon

V. Dans l'obligation de survivre

La gardienne s'était arrêtée dans une brasserie pour se reposer. Rien de mieux en ces temps froids qu'un sake dans un endroit abrité. Au bout de quelques heures et plusieurs verres, deux hommes à l'allure dégingandée vinrent la voir. Sans lui demander son avis, ils s'installèrent devant la jeune femme.

- Qu'est-ce que... Qu'est-ce que vous voulez ?

Elle les regardait de travers, affalée sur la table en face de son verre.

- Ce qu'on veut ? On veut juste vérifier ce qu'indique la marque sur ton front. Il paraît que les véritables gardiens en ont plein les poches. Mais il y a tellement de faux tatouages et d'impostures... Pas vrai, les gars ?!

La moitié de la salle rigola. La voyageuse regarda son verre vide presque avec regret, les yeux mi-clos et un air boudeur sur le visage. Elle essaya de se redresser fièrement, mais faillit tomber de son banc.

- L... Les gars, j'vous c... conseille de m'laisser tranquille ! Si... Sinon, ça va... Oh, flemme...

Elle reposait son menton dans sa main quand un poing vint prendre son col et la soulever au-dessus du sol. Elle ne réagit même pas.

- Regardez-moi ça. Et une loque pareille ose se trainer avec ce genre de dessin sur le front. C'est pas le tatouage qui fait le mage, dit-on, hein petit !

- La poisse... murmura-t-elle.

- Il est où, ton argent, l'abruti ??

La fille ne répondit rien.

- Il est où, j'ai dis !

Après avoir été secouée comme un arbre en pleine tempête, elle fut éjectée à l'autre bout de la salle, et se cogna contre le mur. Il y eut des tables et des bancs renversés. Des gens crièrent et s'enfuirent en courant. Un bruit de verre cassé.

- Pas de baston chez moi !, explosa soudain un homme bedonnant en tablier.

- Vous... voulez tout savoir, les gars ?, dit l'étrangère en se redressant difficilement. J'en ai pas.

- C'est vrai, confirma un homme qui avait fouillé dans ses affaires. Son sac est vide !

- On s'est bien fait avoir.

L'homme qui avait provoqué tout ce remue-ménage tourna le dos à la jeune femme et sortit du commerce.

- Mmmh... Y'a même pas de quoi cuver tranquille, ici, grogna-t-elle en se remettant debout.

Elle se figea alors, nez-à-nez avec le bedonnant.

- Qu'est-ce que j'ai entendu ? T'as de quoi payer la note, j'espère ?!

La fille eut un grand sourire d'excuse et posa un doigt sur sa joue.

- Euh... J'vais vous donner ça, le temps de trouver un boulot, et...

Elle évita de justesse un autre coup.

- Tu sortiras pas d'ici tant que t'auras pas payer ! Tu vas voir...

- Mais plus je reste et plus je vais vous coûter ! Alors que si...

Le gros homme marqua une pause, puis prit la gardienne par le col et la jeta dehors avec son sac.

La jeune fille grogna et se releva en frottant ses vêtements. Un raclement de gorge lui fit lever la tête. Un homme se tenait en face d'elle, les bras croisés. Elle fit la moue : pourquoi venait-on la déranger, encore ? Heureusement, elle avait un peu dessaoulé.

- Bonsoir, gardienne. Vous avez des ennuis ?

- Tout va absolument pour le mieux. Sur ce, je ne vous dérangerais pas plus.